FOLIE DU DOUTE
(AVEC DÉLIRE DU TOUCHER)
LE D' LEGRAND DU SAULLE
FOLIE DU DOUTE
(AVEC DÉLIRE DU TOUCHER)
PRINCIPALES PUBLICATIONS DU MEME AUTEUR
La Folie devant les tribunaux. — Un ■vol. in-S” de 624 pages.
— Paris, 1864. — Ouvrage couronné par l’Institut.
Le Délire des persécutions. — Un vol. in-8° de 524 pages. —
Paris, deuxième tirage, 1873. — Ouvrage couronné par la Faculté
de médecine de Paris. (Prix Châteauvillard) et par l’Académie des
sciences (fondation Montyon).
La Folie héréditaire. — Leçons professés à l’École pratique. —
Broch. in-8“ de 75 pages. — Paris, 1873. —Traduction en langue
allemande, par M. le docteur Stark. — Stuttgart, 1874.
Traité de médecine légale et de jurisprudence médicale.
— Un fort vol. gr. in-8® de 1268 pages.— Paris, 1874. — Ouvrage
couronné par l’Institut (prix Chaussier).
Paris. — TypograpUe Georges Chamerot, rue des Saints-Pères, 19.
155857
LA
FOLIE DU DOUTE
(AVEC DÉLIRE DU TOUCHER)
PAR
LE D' LEGRAND DU SAULLE
Médecin de l’hospice de Bicêtre (service des aliénés),
Médecin du dépôt de la Préfecture,
Lauréat de la Faculté de médecine de Paris et de l’Institut de France (Académie des sciences
ancien président de la Société de médecine pratique
et de la Société médicale du VF arrondissement.
Membre de la Société de médecine légale,
des Sociétés médico-psychologiques de Paris et de Londres,
Membre honoraire de la Société de médecine men^e de Belgique,
Membre correspondant de l’Institut d’Égypte,
de l’Académie des sciences et belles-lettres de Dijon,
de la Société phrénopathique d’Italie, etc., etc.
PARIS
ADRIEN DELAHAYE, LIBRAIRE-ÉDITEUR
PLACE DE L’ÉCOLE-DE-MÉDECINE
1875
LA
FOLIE DU DOUTE
(AVEC DÉLIRE DU TOUCHER)
EXPOSÉ. DÉNOMINATION. DESCRIPTION SOMMAIRE.
La science des maladies mentales n’est aujourd’hui basée
que sur l’observation clinique d’individus préalablement sé¬
questrés, maintenus dans un milieu à peu près artificiel, et
obligés, malgré tout l’imprévu d’une situation délirante, de se
conformer de gré ou de force à la réglementation nécessaire
d’un établissement hospitalier fermé. Le génie français, la
bienfaisance publique et le dévouement médical sont parvenus,
en face de la très-grande majorité des états pathologiques de
l’esprit, à conduire la vérité scientifique jusqu’aux limites si
reculées et si précises qu’elle atteint en ce moment. Mais tous
les délires ne sont pas cloîtrés.
Beaucoup d’aliénés partiels, en effet, très-curieux à étudier,
ayant d’eux-mêmes une connaissance très-approfondie et n’en
étant que plus malheureux, efrent à l’aventure, sans étiquette
apparente, et se meuvent avec quelque inquiétude sur le sol
fragile de la raison limitée.
Si les malades atteints ùq folie avec consdence ne se rencon-
— 6 —
trent qu’à titre exceptionnel dans les établissements d’aliénés,
ils ne s’en présentent pas moins spontanément à l’examen des
médecins. Ils s’expriment en termes très-nets, dépeignent
toutes leurs angoisses avec la plus grande bonne foi, s’avouent
souffrants et affligés, déplorent leurs manifestations morbides,
réclament leur guérison avec insistance et émotion, et tiennent
surtout à être rassurés à l’instant même. Ils ont besoin d’une
affirmation étrangère qui soit immédiatement tranquillisante ;
ils sont disposés à la confiance et se laissent convaincre avec
une crédulité enfantine.
La folie du doute {avec délire du toucher) est l’une des quatre
variétés nosologiques de la folie avec conscience. Elle est cons¬
tituée par une sorte de délire actif, expansif, sans rapport
aucun avec le délire des persécutions et avec le délire de la
mélancolie, et elle a été considérée à tort jusqu’à présent
comme faisant partie tantôt de l’hypochondrie et tantôt de
l’hystérie. Méconnue ou à peine soupçonnée par les auteurs,
non décrite et non classée encore, mais entrevue cependant
par Esquirol, Falret père, Baillarger, Griesinger, Morel, Par-
chappe, Lasègue, Trélat père, Delasiauve, E. Blanche, Marcé et
J. Falret, qui en ont rapporté cà et là quelques exemples
sous des appellations diverses et tout à fait provisoires, elle se
dérobe avec la plus grande facilité aux recherches précises, et
elle est très-délicate à saisir à son point d’origine, dans son
évolution essentiellement paroxystique, dans ses différents
ordres de phénomènes et dans ses trois périodes distinctes;
aussi conduit-elle très-fréquemment à des appréciations clini¬
ques erronées et parfois à des mécomptes pronostiques assez
fôcheux.
Je vais essayer de démontrer que cette aliénation très-spé¬
ciale a droit à une existence à part, qu’elle forme un chapitre
malheureusement trop réel de la pathologie de l’intelligence,
et qu’elle se prête volontiers à un exposé symptomatologique
général facilement reconnaissabte.
Chacun pourra même se souvenir tout à l’heure d’avoir ren¬
contré un ou deux cas analogues ou complètement pareils à
ceux qui vont être décrits.
— 7 —
Ces expressions « folie du doute (avec délire du toucher) »
accusent très-manifestement l’intention formelle de désigner la
maladie par ses signes cliniques prédominants : l’interroga¬
tion mentale produite par le doute et la crainte du contact des
objets extérieurs. Le doute ouvre la scène morbide. Longtemps
après, les excentricités du tact la ferment. Dans la désignation
nominale de la maladie, le doute et le toucher doivent être
réunis. Ce sera probablement le seul moyen de fixer l’atten¬
tion pour toujours sur les deux particularités pathologiques
fondamentales de la névrose.
Il importe tout d’abord d’établir d’une façon sommaire que
la maladie n’est point continue, qu’elle procède par bonds, par
poussées, qu’elle est traversée par des phases suspensives
quelquefois assez longues pour que l’on ait cru de très-bonne
foi à des guérisons définitives, et que, dans sa lente évolution,
elle passe ensuite par trois étapes très-nuancées et tout à fait
différentes l’une et l’autre.
La première période, compatible avec les meilleures condi¬
tions de santé physique et intellectuelle, consiste dans la pro¬
duction spontanée, involontaire et irrésistible, de certaines
séries de pensées sur des sujets indéterminés, théoriques, abs¬
traits ou ridicules, sans illusions et sans hallucinations des
sens. Ces séries de pensées se traduisent par des points d’inter¬
rogation posés à part soi, par un sentiment à la fois profond
et vague de doute, et par une sorte de délibération interne,
essentiellement monotone, opiniâtre et oppressive, sur les
mêmes choses; et, dans quelques cas, par la représentation
mentale de certaines images, ainsi que par des préoccupations
fixes, attitrées et relatives aces images. La lutte est silencieuse:
l’assiégé ne se plaint pas de l’assiégeant.
La deuxième période se reconnaît aux phénomènes suivants :
révélations inattendues à la famille, aux amis et à l’entourage;
scrupules exagérés ; craintes chimériques ; appréhensions et
angoisses ; idées de suicide et parfois tentatives de mort vo¬
lontaire; accès véritables d’excitation avec aura épigastrique
préalable ; aversion pour un animal ; diminution appréciable
du doute et des interpellations personnelles; besoin maladif de
rabâcher les mêmes choses à la même personne et d’être
constamment rassurée par elle, dans des termes identiques et
au besoin convenus à l’avance ; peur de toucher certains ob¬
jets ; instincts anormaux de propreté; lavages répétés ; excen¬
tricités multiples ; aveux spontanés d’actes ridicules ; longues
phases suspensives encore possibles ; conservation toujours en¬
tière de l’intelligence.
La troisième période est caractérisée par un état maladif sé¬
rieux et permanent. La situation devient chaque jour plus in¬
tolérable : toute sociabilité tend à disparaître ; beaucoup
d’actes normaux de la vie sont impossibles ; les sorties au
dehors ne sont plus acceptées qu’avec répugnance, puis refu¬
sées absolument ; les mouvements sont de plus en plus lents,
et plusieurs heures finissent par être dépensées soit pour la
toilette du matin, soit pour chacun des repas dans la journée;
le cercle des idées délirantes se rétrécit, et les angoisses aug¬
mentent en proportion ; les peurs de marcher, de s’asseoir, de
frôler quelqu’un, de donner la main, d’ouvrir une fenêtre ou
une porte, et les répulsions invincibles pour tels ou tels ob¬
jets, augmentent; les terreurs ne sont même plus exprimées,
et le mouvement des lèvres trahit seul la persistance d’un lan¬
gage mental ; la conscience parfaite d’une situation aussi affli¬
geante subsiste quand même ; la démence n’arrive jamais, et
c’est dans un état extrêmement voisin de l’immobilité que la
vie se prolonge et s’éteint.
Tel est, en raccourci, l’histoire complète d’une névrose dont
les premiers indices apparaissent le plus souvent à l’âge de la
puberté, et dont les manifestations très-longtemps rémittentes,
puis continues, peuvent tourmenter toute une existence hu¬
maine, quelque longue qu’on la suppose.
Avant d’entrer dans les développements des trois périodes
de la maladie et de citer les observations cliniques afférentes
à chacune d’elles, il m’a paru indispensable de jalonner par
anticipation tout le terrain pathologique que j’ai à parcourir et
à mettre en lumière.
9 —
II
SYMPTOMATOLOGIE.
§ 1. Première période.
Au début et dans la première période de la folie du doute
(avec délire du toucher), le malade jouit de toute la plé¬
nitude de sa raison; mais il est ombrageux, susceptible,
pointilleux, exigeant, égoïste, craintif et rêveur. Paraissant
manquer de confiance en lui-même, il vérifie ce qu’il fait,
contrôle ce qu’il dit, relit ce qu’il écrit et apporte dans
des actes de peu d’importance un véritable luxe de précau¬
tions. Il semble vivre dans une sorte d’hésitation intérieure
constante; il se répète mentalement à lui-même les mêmes
idées et les mêmes mots, est conduit aux mêmes actes, passe
une partie de son temps à délibérer à vide, à se poser des
points d’interrogation et à y répondre, à s’impatienter, à
maudire son manque de pénétration, à s’engager de plus en
plus dans un combat intèllectuel fatalement stérile et sans
aboutissants possibles, à nier l’évidence la plus convaincante,
à perdre courage et à se laisser écraser par la fatigue. Il doute.
Qu’il soit obsédé par tel ou tel ordre d’idées, ce qui varie
en somme selon l’individu, son degré d’instruction et son
milieu habituel, c’est toujours la même série de pensées mor¬
bides qui s’impose à son esprit, qui en fait le siège en quelque
sorte, et qui, pendant quelques mois, un an ou trente ans, en
est la note dominante. Que son rabâchage intérieur porte sur
Dieu, la Vierge, la naissance du Christ, la création, la nature,
la vie, l’entendement humain, le soleil, la lune, les étoiles, la
foudre, la différence des sexes, la conformation des organes
génitaux, Ja copulation, le sommeil, la mort subite, les préci¬
pices, le pardon des offenses, les oublis à confesse, la
grosseur des animaux, la dimension des objets, les hosties,
le verre, les monnaies d’or, d’argent et de cuivre, les chiens
enragés, les épingles, les espagnolettes de fenêtres, les bou-
— do¬
tons de porte, le papier ou les crayons, — car ce sont là, d’a¬
près ce que j’ai observé, les sujets qui s’offrent le plus fré¬
quemment à la rumination psychologique, — et autour de
l’idée morbide va se concentrer tout le travail intellectuel.
Voilà certainement un» cercle bien restreint en apparence de
préoccupations, de discussions et de controverses; eh bien,
si limité qu’on suppose cet horizon pathologique, il est apte
cependant à s’exercer sur lui-même, à vivre sur son propre
fonds, à se reproduire d’une manière invariable et à détermi¬
ner par la suite des appréhensions ridicules, des bizarreries
étranges et des actes tout à fait insolites, qui, chez la plupart
des individus atteints de la folie du doute, présentent beau¬
coup de points d’une similitude surprenante. Et, chose très-
remarquable, quelque dissemblables que soient les idées pa¬
thologiques à cette première période, les actes qui seront
accomplis beaucoup plus tard, pendant les deux autres pha¬
ses, n’en seront pas moins absolument identiques. Si le doute
est au début la base fondamentale de l’état mental, et si le
doute peut porter à l’improviste sur les sujets les plus dispa¬
rates, il ne conduit plus par la suite qu’à des excentricités
absurdes, à des frayeurs grotesques ou à deux cents lavages
de mains par jour!
Les précautions infinies qui sont prises au début relative¬
ment à des choses insignifiantes, le contrôle attentif et réitéré
qui vient à s’exercer sur de véritables bagatelles, et cette sorte
de précision morbide qui se trouve déployée sans besoin, frap¬
pent volontiers l’attention. Si l’on examine minutieusemunt
l’individu inconsistant et irrésolu qui commence à douter, on
remarque qu’il s’assure à plusieurs reprises que tout est bien
dans l’ordre voulu, que la lettre qu’il va aller lui-même porter
à la poste est correctement orthographiée; qu’il afermé sa caisse
à double tour; que la porte de son appartement est bien close;
qu’il en a la clef dans sa poche ; que sa poche n’est point dé¬
cousue, etc., etc.
Dans plusieurs cas on a noté que des hommes étaient enva¬
his par leurs pensées maladives dès qu’ils se livraient au coït,
ce qui leur rendait impossible l’accomplissement de l’acte
—11 —
vénérien, infligeait une blessure nouvelle à leur dignité et les
éloignait souvent de tout commerce sexuel. La même obser¬
vation a été faite également pour ceux qui sont poursuivis par
la représentation toute psychologique de certaines images : dès
qu’ils commencent l’acte générateur, l’image se produit, et,
dans les cas où cette dernière n’est point lascive, elle déter¬
mine aussitôt une intimidation défaillante !
Ces malades étranges et malheureux ont la conscience la
plus absolue de leur état. Ils apprécient la situation qui leur
est faite, avec une justesse frappante, et ne la déplorent qu’avec
plus d’amertume. Ils reconnaissent tout ce qu’a de navrant
une argumentation interne par demandes et par réponses sur
un sujet ridicule; ils avouent avec franchise que leurs craintes
sont absurdes, et ils vous disent : «Je sais que’tout cela n’a
pas le sens commun, mais je m’en occupe et je ne peux pas
vouloir ne pas m’en occuper. » Ils n’arrivent point à se débar¬
rasser de leurs pensées absorbantes ou de leurs chimériques
perplexités. Toute lutte est stérile; et cependant quelques in¬
dividus ont imaginé de substituer, à l’aide d’un grand effort
de volonté, une série d’idées raisonnables, philanthropiques,^
religieuses ou patriotiques, à ce groupe de questions ridicules,;
sottes ou irritantes qui s’emparent spontanément de leur esprit.
Un prédicateur récite des pages entières de Bossuet; un jeune
homme fredonne la Marseillaise ou se pose des interrogations
à lui-même sur la table de Pythagore, et une vieille demoiselle
débite quelques chansons de Béranger. Le moyen est certai¬
nement ingénieux, mais il réussit pendant bien peu de temps !
11 est une circonstance qui en impose beaucoup et qui ex¬
plique comment la première période de la folie du doute (avec
délire du toucher) peut passer tout à fait inaperçue : c’est le
silence gardé par le malade. Les confidences signalent officiel¬
lement le début de la seconde période et rendent alors l’in¬
tervention médicale possible, bienfaisante et sûre. Mais voici,
sans plus tardér, un certain nombre d’exemples cliniques qui
appartiennent en propre à la première période.
— M“8 Hortense G..., âgée de vingt-quatre ans, artiste distin-
— 12 —
guée, donne des leçons de musique dans une grande ville. Elle est
intelligente, active, ponctuelle, consciencieuse, et elle jouit d’une
excellente réputation. Lorsqu’elle est seule dans la rue, voici quelles
sont ses préoccupations : « Ne va-t-il pas tomber quelqu’un du haut
d'une fenêtre, à mes pieds? Sera-ce un homme ou une femme?
Cette personne se blessera-t-elle ou se tuera-t-elle? Si elle se blesse,
sera-ce à la tête ou aux jambes? Est-ce qu’il y aura du sang sur le
trottoir? Si elle se tue sur le coup, comment le saurai-je? Devrai-je
appeler du secours, prendre la fuite ou réciter aussitôt un pater
et un ave? Ne m’accusera-t-on pas d’être la cause de cet événement?
Mes élèves ne me quitteront-elles pas? Mon innocence pourra-
Lelle être reconnue? « Toutes ces pensées se pressent en foule dans
son esprit et l’émeuvent. Il lui semble qu’elle doit trembler. Tout
son regret est de ne pas pouvoir être rassurée par quelques bonnes
paroles, dès qu’elle entre dans une maison ; mais personne ne se
doute encore de ce qui se passe en elle.
II. — M. Antoine D..., négociant, âgé de trente ans, marié, père
de deux enfants, intelligent, instruit, s’occupe de ses affaires avec
un grand zèle ; il a même des aptitudes incontestées. Il prétend qu’il
est absorbé mentalement par deux choses : les couleurs et les nom¬
bres, et que, dès qu’il a quelques minutes de liberté d’esprit, il
est obligé malgré lui de discuter certaines choses dans lesquelles
entrent toujours les couleurs et les nombres. Il se demande, par
exemple, pourquoi les couleurs sont inégalement réparties, pourquoi
les arbres sont verts, pourquoi les soldats portent un pantalon rouge,
pourquoi la femme se marie en blanc, pourquoi le deuil se porte en
noir, pourquoi tels papiers sont peints en bleu, en jaune, en rose
ou en gris, etc. Dès qu’il est quelque part, il additionne combien
il y a de meubles, d’objets ou de vêtements de telle ou telle couleur.
A-t-il été en chemin de fer, il pourra dire combien d’une station
à une autre il aura vu défiler de rivières et de ponts, ou combien il y
avait dans son wagon de capitons, de franges, de losanges et de
clous. Si, pour éviter la fatigue, il a voulu fermer les yeux et cher¬
cher le sommeil, il rapportera qu’il a été involontairement forcé
de résoudre cette question ; (c Pourquoi Tarc-en-ciel est-il de sept
couleurs? « Il apprécie à merveille son état, déplore ce qu’il appelle
« ses manies », se déclare prêt à tout tenter pour arriver à sa gué¬
rison et s’éloigne en vous disant : « Vous avez quarante-quatre
volumes sur cette table et vous portez un gilet à sept boutons. Excu-
sez-moi, c’est involontaire, mais il faut que je compte! »
— 13 —
III. — M“® Louise L..., âgée de dix-huit ans, orpheline, recueillie
par une famille qui habite à l’étranger et voyage beaucoup, a de¬
puis deux ans des scrupules de conscience. Elle croit se rappeler
qu’elle a ri à l’église le jour de sa première communion, qu’elle ne
devait pas être en état de grâce, qu’elle avait dû cacher l’un de ses
péchés à son confesseur et qu’elle n’était pas digne que Dieu vînt ha¬
biter en elle. «Pourquoi ai-je commis ce sacrilège? s’éerie-t-elle. Que
peut-il en résulter? Qu’est-ce que c’est qu’un sacrilège? Quelle péni¬
tence peut racheter un sacrilège? Serais-je pardonnée, si pendant
un an je ne mangeais que des aliments maigres? « On l’entoure, on
la console, on la rassure, et elle reprend presque aussitôt sa gaieté,
brille par ses réparties fines et spirituelles, joue du piano, chante,
récite des fables, fait des tours de cartes et distrait agréablement
tout le monde. Je l’ai revue récemment et l’ai trouvée très-amaigrie.
Après le plus minutieux examen, ne trouvant rien qui pût justifier
un pareil amaigrissement, je me contentai d’ordonner que l’on fit
coucher une domestique dans sa chambre. La jeune fille avoua alors
qu’elle se privait de sommeil parce qu’elle avait peur de mourir
en dormant et de ne pas pouvoir se repentir avant de rendre le
dernier soupir. Depuis qu’une femme de chambre passe la nuit
auprès d’elle et la tranquillise au besoin, sa santé générale est rede¬
venue florissante.
IV. — M“® Caroline C..., âgée de dix-neuf ans, appartenant à une
famille d’aliénés, mariée depuis six mois, est devenue triste, peu
communicative, rêveuse et craintive, presque aussitôt après son ma¬
riage. On l’interroge en vain, on cherche à multiplier les distrac¬
tions autour d’elle, mais elle ne s’y prête pas et finit par refuser
de sortir. On remarque qu’elle s’enferme dans sa chambre, qu’elle
écrit souvent, et qu’elle cache soigneusement un petit cahier. On
saisit le cahier, et l’on apprend que cette jeune femme, jusqu’au
jour de son mariage, avait absolument ignoré ce que pouvait bien
être Tunion des sexes, qu’elle a éprouvé un saisissement voisin de
la terreur et suivi d’un tremblement prolongé à la suite de la pre¬
mière approche conjugale, mais que^ depuis qu’elle a vu en plein
jour le corps nu et le pénis rigide de son mari^ elle peut très-
difficilement se défaire de cette image qui l’obsède, l’émeut et la
désespère. La persistance de l’image a provoqué et alimenté tout
iiu certain ordre de pensées et d’interrogations au sujet des orga¬
nes génitaux de l’homme, de leurs fonctions, de leurs changements
de volume, de la coloration du systesme pileux^ et elle en était ar-^
— 14 —
rivée à faire involontairement la remarque que tel individu portait
un pantalon large, étroit ou collant.
Une grossesse est survenue, une amélioration très-sérieuse s’est
manifestée, et depuis deux ans il n’y a pas encore eu de rechute.
Seulement, cette dame ne pénètre jamais dans la chambre de son
mari à moins que l’obscurité ne soit absolue, et elle évite d’entrer
dans un jardin public ou dans un musée, dans la crainte d’aperce¬
voir des nudités masculines. Sa petite fille a eu quelques convul¬
sions, une chute du rectum et une hernie.
Les faits analogues à ceux qui viennent d’être rapportés
sont déjà bien dignes d’attention, mais ceux qui suivront tout
à l’heure appartiendront à un ordre beaucoup plus saisissant
encore. Avant de les aborder, je tiens à résumer ici une com¬
munication très-importante et inconnue encore en France
que Griesinger fit, quelques mois avant sa mort, à la Société
médico-psychologique de Berlin sur « un état psychopathique
peu connu » et dans laquelle il a relaté trois faits (1). Le pre¬
mier et le troisième rentrent dans la première période de la
folie du doute (avec délire du toucher). Le second appartient
à la deuxième période de cette aliénation pàrtielle.
En 4866, Griesinger fut appelé dans un hôtel pour voir une
dame enceinte qui fuyait le choléra, et qui, sans se tour¬
menter beaucoup de l’épidémie régnante, était surtout obsé¬
dée par toute une série de pensées qui s’imposaient à elle
sans relâche et la plaçaient d’une manière permanente dans
une sorte d’indécision intérieure à forme interrogative, à pro¬
pos de n’importe quel sujet. Tout ce qui se présentait à son
esprit — idée ou image — s’accompagnait invariablement
d’un comment ou d’un pourquoi. « Comment tout se fait-il sur
cette terre? Pourquoi le monde circule-t-il? Pourquoi suis-je
assise ici? Que signifie cette chaise? » Toutes ces questions
décousues et sottes avaient un caractère théorique et ne con¬
cernaient que très-peu ou point du tout sa propre personne,
à l’encontre de ce qui se produit dans les délires anxieux, et
(1) Archiv für Psychiatrie, de Meyer et Westphal, 1868.
— 15 —
elles l’accablaient d’autant plus qu’elle cherchait une réponse
ou une solution à ces questions, et qu’il en résultait alors pour
elle une sensation d’angoisse dépressive et une véritable tor¬
ture intellectuelle. Une première série de questions, en effet,
était-elle résolue, qu’une seconde se représentait aussitôt :
a Gomment les hommes naissent-ils? Pourquoi y a-t-il des
hommes ? Quel destin est le leur ? » Loin de s’offrir à l’esprit
comme de paisibles méditations sur des sujets mal choisis,r
ainsi que cela peut se passer dans lesconditionspsychologiques
normales, ces interrogations arrivaient à l’improviste, se pous¬
sant l’une l’autre, conduisant nécessairement, en face d’un
cercle aussi vaste de pensées, à des réponses assez peu satis¬
faisantes, et finissant enfin par déterminer de la fatigue, de
l’agitation, de la céphalalgie et de l’insomnie, c’est-à-dire une
sorte de crise nerveuse.
En novembre 1867, le même observateur a donné des soins
à un prince russe, âgé de trente-quatre ans, fils d’une mère
« très-nerveuse » qui, dans, son enfance et pendant sa jeunesse,
avait eu quelques attaques graves d’épilepsie, puis de fréquents
vertiges, mais qui ne s’était plus ressenti de rien depuis deux
ans. Le malade avait commis de grands excès; il était devenu
frigide et était affecté d’un rétrécissement du canal uréthral et
d’une atrophie du testicule gauche. Depuis la cessation de ses
vertiges , dès que son attention n’était plus complètement
occupée par les choses du monde extérieur, il s’adressait for¬
cément à lui-même les interrogations les plus absurdes :
« Pourquoi tel objet a-t-il telle dimension et pourquoi tel autre
est-il de telle grandeur? Pourquoi telle personne est-elle d’une
aussi petite taille? pourquoi n’est-elle pas haute comme la
chambre ? Pourquoi les hommes en général ne sont-ils pas
plus grands qu’ils ne le sont? comment ne sont-ils pas aussi
grands que les maisons ? » Cette obsession du pourquoi et du
comment se liait à bien d’autres idées. La casquette, par exem¬
ple, est sur sa cuisse droite : pourquoi, pense-t-il, n’est-elle
pas sur la cuisse gauche ? Il la pose sur la gauche : — pour¬
quoi n’est-elle pas sur la droite ?
— IG —
Le malade convenait de toute l’absurdité de ses pensées. Ces
dernières portaient parfois sur des sujets tout à fait théoriques
et abstraits : « Comment est fait le soleil? Pourquoi n’y a-t-il pas
deux soleils et deux lunes ?» Et toujours une interrogation le
surprenait de nouveau, s’imposait à lui et ne pouvait presque
plus le quitter. La même question se reproduisait môme assez
fréquemment sous différents aspects et arrivait ainsi à tour¬
menter son intelligence pendant des heures entières.
Les interrogations survenaient-elles tout à coup, elles occa¬
sionnaient de l’irritabilité et une sorte de frayeur; se présen¬
taient-elles avec moins de vivacité, elles ne causaient pas
d^émotion apparente, mais n’en étaient pas moins suivies d’un
abattement considérable et d’un besoin de décrire avec quel¬
que prolixité une souffrance aussi pénible. Si le confident
manquait par hasard d’attention, de patience et de compas¬
sion, le malade ne manquait pas de gémir et de se laisser aller
au désespoir.
Ses organes sexuels étaient devenus tout à fait incapables
de fonctionner. Dès qu’il faisait une tentative de coït, ses « pen¬
sées » surgissaient aussitôt avec la plus grande intensité et gla¬
çaient toute disposition à la rigidité pénienne.
La vie mondaine, les distractions, les voyages, les affaires,
la fréquentation des théâtres, des salons et des cercles, les
lectures et les occupations en somme les plus multipliées,
avaient apporté un soulagement marqué, et quelque peu dura¬
ble; mais le calme et l’isolement rappelaient le soliloque psy¬
chopathique. L’usage exagéré des boissons spiritueuses avait
d’abord semblé mettre en fuite les phénomènes observés, mais
il est bientôt devenu une cause d’aggravation. Un traitement
hydrothérapique fut conseillé.
Rriesinger a enfin observé à Berlin un jeune homme de
vingt et un ans, de taille moyenne, sans stigmates bien appa¬
rents d’hérédité cérébrale (sauf une légère déformation des
oreilles), appartenant à une famille de gens intelligents, actifs
et industrieux, très-bien doué lui-même, très-ajfte aü calculj
parlant bien^ occupant un emploi itnportant dans une grande
— 17 —
usine, ne donnant à penser à personne qu’il pût présenter un
cas pathologique quelconque, et qui, sous l’influence supposée
d’habitudes invétérées d’onanisme, commença par éprouver
une sorte de précision maladive, d’attention exagérée et incon¬
nue jusque-là, dans tous les détails de ses occupations ordi¬
naires, et provenant évidemment d’un certain manque de con¬
fiance en lui. Venait-il, par exemple, d’écrire une lettre, il la
relisait à plusieurs reprises, afin d’être bien sûr de n’avoir pas
omis un mot ou fait une faute d’orthographe; fermait-il un
meuble, il venait vérifier une ou deux fois si effectivement il
l’avait bien fermé. Peu à peu une foule de pensées le poursui¬
virent sans cesse, l’obligèrent à méditer, à délibérer àpartlui,
à se répondre à lui-même, et, en vivant en quelque sorte au
milieu de ce rabâchage intérieur, il ne mena plus qu’une
existence affligée et presque intolérable.
Lorsque ce jeune homme vaquait à ses occupations journa¬
lières, qu’il fabriquait ou écoulait ses produits, qu’il faisait des
comptes, qu’il écrivait des lettres d’affaires ou qu’il passait quel¬
ques heures dans la société de ses amis, rien d’anormal ne se
manifestait chez lui ; mais, dès que son activité mentale venait
à être suspendue, le pourquoi et le comment d’une foule de
choses envahissaient son esprit et semblaient s’exercer de pré¬
férence sur des sujets irritants, inexplicables et nécessitant une
grande tension intellectuelle : «D’où provient le verre? D’où
proviennent les vers? Quelle est l’origine de la création? Par
qui a été créé le Créateur? D’où partent les étoiles? Quelle est
l’origine du langage? Pourquoi l’homme et la femme existent-
ils? Quel a été le point de départ de l’entendement et où est
son siège? Quel est le dernier mot de la structure du corps, de
la création des êtres et de l’existence de l’homme? Pourquoi
la nature reste-t-elle toujours égale à elle-même? » La réponse
à tant de questions laissait nécessairement beaucoup à désirer
et lui causait le plus vif mécontentement. Il avait beau se diri¬
ger avec quelque habileté dans tout ce labyrinthe de problèmes
mystérieux, il avait beau fouiller les questions et remonter
jusqu’à leur cause la plus lointaine, il finissait par s’égarer, et
alors il se troublait, s’impatientait et se désespérait.
2
— 18 —
Les choses de la vie habituelle donnaient lieu parfois à ces
réflexions générales sous la forme interrogative. Ainsi le ma¬
lade traversait-il une promenade ou une rue, il rencontrait un
certain nombre de personnes, et il se mettait à méditer sur les
traits de la physionomie de ces personnes ou sur les mobiles
des actions humaines : « Pourquoi l’homme travaille-t-il?
Comment est-il si facile à tromper? » Allait-il se mettre à cal¬
culer, qu’il se demandait aussitôt à lui-même par quels moyens
avait été découverte la science du calcul. Et, cherchant à dé¬
crire son propre état, voici ce qu’il consignait lui-même
dans une note : « J’affaiblis ma santé corporelle à méditer
continuellement sur des problèmes dont la solution est chose
encore impossible à l’intelligence humaine ; mais, malgré mon
bon vouloir et mes fermes résolutions, je ne puis m’en déli¬
vrer. Le cours maladif de ces idées revient toujours. Au
milieu des préoccupations et des actes de la vie pratique,
je suis conduit à délibérer intérieurement sur la prove¬
nance théorique en ce monde de telle ou telle chose. Ce
besoin de pénétrer dans des profondeurs insondables est trop
opiniâtre pour être naturel. Je m’embrouille, et je me perds!
Un jour, je me fatiguai à établir quel était le siège de Fintelli-
gence, et je m’affirmai à chaque instant à moi-même que ce
siège était dans la tête, et cependant je ruminai sans cesse la
même idée pendant des heures entières ! Mon état constitue
une situation morbide affreuse et ne saurait être confondu avec
une saine curiosité ou avec l’amour des recherches. Je n’ai pas
toujours été ainsi; je subis un accident opiniâtre et monotone,
je ne peux pas m’en débarrasser, quoi que je fasse, et j’atteste
que l’on ne peut pas se rendre compte du degré de torture
mentale qu’amène chaque crise. Malgré le désir et la satisfac¬
tion que j’éprouverais à épancher dans le sein d’autrui les
particularités si insolites de ma souffrance, je me tais. Mes
parents eux-mêmes doivent ignorer que je livre un continuel
combat et que je suis déchiré intérieurement. »
Ce malade, qui s’accusait-d’avoir provoqué sa psychopa¬
thie par ses déplorables habitudes d’onanisme, n’avait rien
d’épileptoïde. La céphalalgie et « le mal de nerfs » ne se mon-
— 19 —
traient qu’à la suite d’une tension cérébrale prolongée. La cir¬
culation ne paraissait pas troublée, mais le pools était lent.
Le sommeil était parfois agité; les rêves n’étaient ni pénibles
ni absurdes : a la réalité s’y montrait telle quelle ».
Ajoutons, enfin^ qu’un plus jeune frère du malade aurait
éprouvé pendant quelque temps le besoin de se questionner
lui-même, non plus sur des sujets arides et inexplicables, mais
sur des choses indifférentes, et qu’il avait eu également de la
précision maladive. A la suite de ces troubles passagers, il
avait très-rapidement perdu la faculté de calculer. Un traite¬
ment hydrothérapique l’avait, paraît-il, complètement rétabli.
Poursuivons maintenant l’étude de la névrose. Le malade, à
bout de ses misères morales, de ses impressions morbides, va
mettre de côté tout amour-propre et aller chercher des conseils
de cabinet médical en cabinet médical. Il n’a rien dit encore
de son état : le voici qui va jeter son masque et faire des
révélations.
§ II. Deuxième période.
Après tant d’angoisses, d’efforts, de luttes et de souffrances^
les malades, après avoir cherché avec obstination quelle a pu
être la cause première de tant d’idées fixes, de perturbations
étranges et d’actes plus que bizarres, interrogent à leur tour
le médecin, veulent être édifiés sur la provenance d’anomalies
pareilles et sur l’impossibilité de triompher d’elles, sur les
chances possibles d’une amélioration, d’une aggravation ou
d’une récidive, et ils deviennent alors des questionneurs im-
placablesi Le médecin, tout en cherchant lui-même la solu¬
tion à tant de questions, s’inspire des difficultés de la situa¬
tion et répond le moins mal qu’il peut, mais il se reporte
intérieurement à ces paroles significatives de Maine de Bi-
ran : « D’oü vient que nos habitudes deviennent tout à coup
sans effet? Que signifient ces penchants, ces idées opiniâtres
quij s’emparant au contraire subitement de notre imagination,
persistent malgré la volonté et occupent la place des plus an¬
ciennes habitudes? Pourquoi une certaine inertie dans l’or-
— 20 —
gane de^ la pensée, une disposition à suivre opiniâtrément
un certain nombre d’idées, coïncident-elles toujours avec les
dispositions d’autres organes pour retenir ou fixer en eux les
impressions qui leur viennent de causes accidentelles ou qui
sont inhérentes à leur vitalité? » (1).
Qu’il y ait au fond de la question un véritable desideratum
et que le médecin ne soit pas toujours apte à donner de cer¬
tains phénomènes une explication très-sérieuse, je ne le nie
point et je suis bien obligé de passer condamnation. Ce que je
constate, c’est que le signe différentiel qui sépare la deuxième
période de la première consiste dans les révélations absolument
inattendues du malade, dans le récit prolixe de souffrances
non soupçonnées, dans l’inauguration d’un système de questions
sans fin, dans la sollicitation réitérée de paroles rassurantes
et dans l’extrôme facilité avec laquelle une personne de l’en¬
tourage dissipe momentanément les perplexités en apparence
les plus vives.
Avec la plus grande somme de raison, sans aucune com¬
promission fatale, nécessaire, démontrable des facultés, un
malade vous déclare qu’il a peur de toucher des pièces de
monnaie et qu’il a toujours des gants pour recevoir ou donner
de l’or ou de l’argent; que les objets métalliques luisants
l’effrayent, qu’il ne touche aux boutons d’une porte ou aux
espagnolettes d’une fenêtre qu’après s’être enveloppé la main
de son mouchoir ou du pan de sa redingote! Vous l’interrogez,
et il déclare qu’il craint d’être accusé d’avoir détourné quel¬
ques valeurs d’or ou d’argent, qu’il redoute la malpropreté des
objets précités ou enfin qu’il tient à éviter le contact des subs¬
tances malfaisantes ou toxiques. Sous l’empire de ces frayeurs,
les femmes, par exemple, beaucoup plus que les hommes,
conamencent à se laver les mains un très-grand nombre de
fois dans une journée. « Quand on n’a pas reçu les confidences
de ces malades, dit J. Palret, on ne peut se faire une idée
exacte de la multiplicité des craintes qu’enfante, à chaque
instant, leur imagination en délire et des conséquences variées
(1) Des Habitudes passives, t. I, p. 162.
— 21 —
qu’elles enlraînent dans les faits les plus insignifiants de la vie
de chaque jour. Ont-ils touché involontairement un objet
quelconque avec leurs mains ou une portion de leurs vête¬
ments (ce qui, malgré leurs précautions, arrive nécessairement
très-souvent), ils sont alors obligés de quitter ce vêtement pour
ne plus le remettre, ou bien de se laver les mains, et ils
passent ainsi une grande partie de leur temps dans des lavages
sans cesse renouvelés. De là naissent de nouveaux doutes, de
nouvelles perplexités et de nouvelles lenteurs dans l’accom¬
plissement de tous les actes de la vie. Ils se parlent constam¬
ment à eux-mêmes, mentalement ou en remuant les lèvres, et
se répètent les mêmes mots ou les mêmes idées, pour se con¬
vaincre que les objets touchés n’étaient pas malpropres ou
que les lavages ont été suffisants ; non contents de se parler à
eux-mêmes, ils éprouvent le besoin de faire répéter aux per¬
sonnes qui vivent avec eux les mêmes mots ou les mêmes
membres de phrases, parce que l’assurance réitérée d’autrui
leur semble avoir plus de valeur que leur propre affirma¬
tion. » (I). *
C’est surtout à ce moment que les malades sont fatigants,
exigeants, égoïstes et ingrats. Ils se réfugient avec une obsti¬
nation raisonnée dans leurs idées fixes, exaltent leur sensibi¬
lité, aiment à se plaindre, pleurent, se lamentent pour des
futilités, se disent malheureux, et préféreraient, disent-ils,
mille morts aux impressions qu’ils ressentent, aux perplexités
qui les émeuvent et aux angoisses qui les torturent. Ils ont
toutes les superstitions, ne montent pas en voilure le vendredi,
redoutent le nombre de treize ou pâlissent à la vue d’une salière
renversée. Leur langage est imagé et exagéré, et l’on peut noter
dans leur attitude générale une certaine mise en scène. Leur
douleur, diversement interprétée, appelle la compassion, la
méfiance ou le rire. La vérité est que cette douleur est très-
réelle.
Une jeune fille a des scrupules parce qu’elle a passé une
partie de ses premières années avec le fils d’un ami de la
(1) De la Folie raisonnante, p. 42, 1866.
— 22 —
famille. Elle a peur de tout ce que cet enfant a pu toucher
ou même voir. — Une malade a la peur des épingles, et elle
n’ose rien toucher, dans la crainte d’en rencontrer.—Une jeune
fille a peur du verre. Elle secoue ses vêtements, se frotte les
mains pour se débarrasser des prétendus fragments qu’elle
redoute d’avoir ramassés. — Une autre jeune fille a peur des
hosties.
Le phénomène principal de ce délire partiel consiste, dans
tous les cas, en une crainte nettement tranchée et que mille
occasions doivent invariablement réveiller.
Morel a rapporté le cas de ce suisse d’une église de Rouen,
qui a depuis vingt-cinq ans des craintes absurdes, et, entre
autres choses, qui n’ose pas toucher à sa hallebarde. Le
malade se raisonne, s’invective et triomphe de lui-même, mais
au prix d’un sacrifice qu’il appréhende de ne plus pouvoir
faire le lendemain. Le même auteur a également parlé d’un
conseiller de cour d’appel, — magistrat des plus sagaces, —
qui ne pouvait entrer nulle part sans s’être enveloppé la main
avec le pan de son habit, qui ne laissait pénétrer personne
dans sa chambre, qui recevait les visiteurs dans le corridor,
n’osait traverser la rue qu’en marchant sur la pointe des pieds,
et qui évitait avec soin de les poser sur les lignes d’intersec¬
tion des pavés.
Une dame, observée par Baillarger, lutte en vain depuis
plus de vingt ans contre la crainte extrême de toucher ou
même de voir tout ce qui sert à écrire : plumes, papier, encre
et crayons. Celte peur s’étend à tout ce qui est écrit ou im¬
primé, aux enseignes et aux affiches. Au début, la malade
I avait d’abord témoigné beaucoup de répugnance pour écrire,
I tant elle avait peur de faire des fautes d’orthographe et d’être
1 tournée en dérision ; puis elle en était insensiblement arrivée
\ à avoir des crises d’agitation et même de fureur, à la simple
i vue d’un crayon. Jamais elle ne séjourne maintenant dans une
chambre garnie d’un tapis, car des crayons pourraient se
trouver entre le tapis et le parquet. Lorsqu’elle prend un
— 23 —
fiacre, il faut que l’on visite minutieusement au préalable les
coussins et les poches de la voiture. Dans la rue, elle ne se
promène qu’entre deux personnes qui lui cachent la vue des
boutiques de libraires ou de papetiers. Elle ne veut jamais
rester seule, afin d’éviter d’avoir l’idée de demander elle-
même du papier ou des crayons à des personnes étrangères.
Non-seulement elle ne peut pas rester seule, mais il est indis¬
pensable qu’il y ait toujours deux personnes auprès d’elle à la
fois, avec la mission d’avoir constamment les yeux sur elle,
car une seule pourrait s’endormir. A cette condition, elle est
calme et rassurée. Le matin, à son réveil, elle se croise les
bras et ferme les yeux, afin de ne pas être exposée à voir des
crayons, puis elle se lève au bout d’une heure, et elle s’occupe
pendant très-longtemps à secouer ses vêtements et à essuyer
ses pieds. La porte de sa chambre est fermée à clef, dans le
cas où une impulsion la porterait à demander des crayons.
Elle se préoccupe de tout, fait toutes les suppositions imagi¬
nables au sujet de son délire et se perd dans les conjectures,
les si et les peut-être. Lorsque par malheur, dans la conversa¬
tion, on parle d’une lettre, une crise survient.
Cette malade a eu et a encore des scrupules religieux exagé¬
rés. Elle craint d’avoir commis des actes d’impureté; mais ce
qui la tourmente le plus, c’est l’idée qui lui vient quelquefois
d’écrire ses péchés pour se les rappeler. La santé générale est
d’ailleurs bonne, l’appétit et le sommeil ne laissent rien à dé¬
sirer, la menstruation est régulière. On constate seulement un
état habituel de congestion encéphalique ^t assez fréquem¬
ment quelques légères épistaxis.
Il n’est pas bien rare d’observer de véritables idées de sui¬
cide et même quelques tentatives assez sérieuses de mort vo^
lontaire. Ce fait se retrouvera dans quelques-unes des observa¬
tions qui vont suivre, et cependant j’estime que les maladesi
sont en général trop irrésolus et trop versatiles pour prémé¬
diter, mûrir et exécuter jusqu’au bout un projet sinistre. Ils
n’ont, en effet, ni la froide énergie du persécuté, ni le sombre
désespoir du mélancolique. En vertu de leurs tergiversations
— 24 —
et de leurs défaillances, ils ont Tair d’avoir le désir de quitter
la vie, ils le disent et le répètent, préparent au besoin le
timide accomplissement de leur propre meurtre , mais la vo¬
lonté est molle et la main tremblante. Ils flottent, n’osent pas
se frapper, s’égratignent ou appellent au secours.
Un malade, dont il a été question à la Société médico-psy¬
chologique de Paris, a la crainte depuis l’âge de treize ans de
dire des injures, ou de s’accuser de crimes qu’il n’a pas
commis, ou enfin de laisser soupçonner ses parents et ses amis.
Cette pensée maladive le domine au point d’empoisonner sa
vie et de l’avoir déjà conduit à deux tentatives de suicide.
Dans le cours de cette deuxième période, les malades
éprouvent souvent ce qu’ils appellent « des crises », c’est-
à-dire des périodes d’exacerbation presque intolérable. Après
une intense contention d’esprit, des interrogations multipliées
ou de longues remontrances adressées à eux-mêmes et par
eux-mêmes, après des angoisses qu’ils désapprouvent ou des
frayeurs qu’ils trouvent ridicules, ils ressentent, à un moment
donné, une sorte d’impression vague, confuse, indéfinissable,
partant de l’épigastre, une véritable aura avec ramifications
entéralgiques profondes et irradiation dans tout le système
nerveux cérébro-spinal. On les voit alors aller et venir, ne pas
pouvoir rester en place, se plaindre de la chaleur , accuser de
la céphalalgie, de la rachialgie, de l’inappétence, de l’insom¬
nie et de la diarrhée. Ils sont couverts de sueur, leur circula¬
tion est en désordre, le hruit les irrite, le regard les importune,
la parole d’autrui les exaspère, les craintes les plus diverses
se font jour, l’inquiétude est à son comble, et les pleurs, les
spasmes , les sanglots, les demi-défaillances syncopales et
l’excitation turbulente achèvent de constituer une scène mor¬
bide réelle, que l’on a eu le tort de croire parfois imaginaire,
et qui dure de deux à vingt-quatre heures, mais le plus habi¬
tuellement quatre, cinq ou six heures. A tous les retours de
périodes d’exacerbation, mêmes tendances panophobiques,
mêmes impressions morbides et mêmes actes étranges.
Une dame D..., âgée de quarante ans, qui a été passagère-
— 25 -
ment traitée dans les maisons de santé de Vanves et d’ivry, de¬
venait tout à fait livide pendant ses crises, invariablement pré¬
cédées d’aura épigastrique, et, dans la crainte qu’une puissance
occulte ne s’emparât de ses pensées et de sa volonté, elle
écrivait sur un petit calepin toutes les appréhensions et toutes
les terreurs qui l’obsédaient. Son écriture était alors rapide,
précipitée et illisible. Cette malade, qui refusait de donner la
main au médecin, parce qu’ï7 pouvait avoir manipulé des poi¬
sons, marchait sur la pointe des pieds, prenait de grandes
précautions pour s’asseoir et avait soin d’éviter que sa robe ne
vînt à frôler un meuble ou une porte. Elle n’aimail pas sa fille
unique, avait pris son mari pour souffre-douleur, et lui posait
un grand nombre de questions absurdes ou grotesques. Pen¬
dant plus de dix ans, dans la localité qu’elle habitait, un méde¬
cin et un prêtre avaient amplement suffi pour ta tranquilliser
et réduire à néant ses angoisses. Toute explication et toute
exhortation étaient accueillies avec docilité et contentement.
Les crises survinrent, se rapprochèrent, et, sans cesser un
seul instant d’être intelligente et consciente, elle se rendit
insupportable pour les siens. Elle bénéficie en ce moment d’une
rémission.
Trélat père et Baillarger ont donné des soins à une jeune
dame qui, de quatorze à dix-huit ans, avait été poursuivie par
la crainte d’avoir une mauvaise pensée et qui s’imposait alors
l’obligation de la rétracter. Lorsque cette prétendue mauvaise
pensée survenait pendant le cours d’une conversation avec sa
mère, il fallait que cette dernière répétât plusieurs fois oui,
oui, oui, et, si elle venait par hasard à s’y refuser, la malade
s’inquiétait, passait parfois des heures entières à faire des ré¬
tractations ou finissait par avoir une véritable crise.
L’aversion pour un animal est un fait général d’observation
chez ces malades. Le chien, le chat, la souris, la grenouille ou
le crapaud, sont le plus souvent l’objet de la répulsion patho¬
logique; mais la peur des chiens enragés, des morsures èt de
la hâve rabique, a principalement le privilège de causer des
appréhensions très-vives, d’inspirer des transes absurdes, des
— 26 —
terreurs véritables et même des crises. Une fois que la crainte
des chiens enragés s’est en quelque sorte implantée dans l’es¬
prit, tout le travail intellectuel pivote désormais autour de
cette préoccupation dominante et de ses conséquences possi¬
bles, et conduit nécessairement à des actes étranges, insolites,
et en complet désaccord avec toutes les habitudes antérieures.
Une dame, âgée de cinquante-deux ans, s’imagine que le
chien de son mari n’a été abattu que parce qu’il était enragé.
A partir de ce moment, l’idée d’avoir touché un chien enragé
la poursuit jour et nuit. Dans le jardin, auprès de l’animal, il
y avait du linge étendu. Ce linge n’avait-il pas été en contact
avec la bave rabique? Placé dans une armoire, à côté d’effets
à l’usage de la famille, ce linge ne lui a-t-il pas inoculé la rage,
à elle, à son mari et à tous les siens? Celte femme n’ose plus
alors donner le bras à son mari, ne touche plus à rien dans
son ménage, ne change plus de vêtements et garde pendant
deux mois la même chemise. « Suis-je folle ou ne le suis-je pas?
demandait-elle à Morel. Faudra-t-il donc me séquestrer dans
une maison d’aliénés parce que je tremble à la vue d’un chien
et que je n’ose rien toucher chez moi? Mais à quoi me sert
donc ma raison?» Cette malade a consenti à faire de l’hydro¬
thérapie, à la condition que l’on n’employât pour elle que
du linge neuf et des couvertures n’ayant jamais servi à per¬
sonne.
L’observation suivante a été rapportée par Marcé :
Une jeune fille de la campagne, n’offrant pas d’antécédents
héréditaires fâcheux, présente, depuis l’âge de seize ans, une
grande tendance à se préoccuper des choses les plus futiles,
et beaucoup d’hésitation et d’incertitude dans le caractère.
Plusieurs mariages qu’elle manqua par suite de ses irrésolu¬
tions la rendirent inquiète, portée à la mélancolie, et ces dis¬
positions morales furent loin de s’améliorer à la suite d’une
affection aiguë des bronches compliquée de pleurésie, qui
altéra beaucoup ses forces. C’est en ce moment qu’elle vint à
entendre parler d’un chien enragé qui, disait-on, courait dans
le pays et venait de mordre un des chiens de la ferme. Le chien
— 27 —
mordu ne devint pas malade. Elle resta néanmoins frappée de
l’idée qu’elle pourrait gagner la rage, et dès lors cette pensée
ne la quitta plus. D’abord elle évite avec soin l’animal suspect,
puis elle en vint à prendre à horreur tous les objets qu’elle
supposait avoir pu être en contact avec lui. Les cordes qui
servaient à étendre le linge ayant été jetées près de l’écuelle
du chien, elle n’osait plus toucher ni les cordes, ni même le
linge. Chaque fois qu’il fallait changer de vêtements, elle
éprouvait une répugnance qu’on ne pouvait vaincre qu’au prix
des plus vives instances, et quand, par malheur, elle avait
posé la main sur un objet suspect, elle passait des heures
entières à se frotter et à se laver dans un bain de savon. Son
père et sa mère, négligeant de prendre les mêmes précautions
qu’elle, elle n’osait ni les toucher, ni s’approcher d’eux, et
bientôt sa répulsion s’étendit à tous les objets de son entou¬
rage qui pouvaient directement ou indirectement avoir touché
un objet contaminé. Au bout d’une année, les idées délirantes
gagnèrent encore du terrain : un médecin ayant été appelé
près d’elle, elle le soupçonna de vouloir l’empoisonner et de¬
vint défiante vis-à-vis de lui ; elle en arriva à regarder comme
dangereux non-seulement le contact des objets suspects, mais
encore leurs exhalaisons. C’est ainsi que pendant plusieurs
jours, elle fut très-inquiète parce qu’on avait cassé auprès
d’elle un objet de verre, qui se brisa en un grand nombre de
morceaux; elle craignit d’en avoir introduit des fragments par
les voies aériennes, en respirant. Son père ayant été un jour
pour consulter une somnambule, rapporta dans sa poche, sans
l’avoir enveloppé, un serre-tête que la devineresse avait dû
toucher pour donner son opinion. La malade conçut à la suite
de cette circonstance et pendant plus de deux ans les plus vives
appréhensions, redoutant qu’on eût conservé sur elle quelque
pouvoir magnétique par l’intermédiaire de ce bonnet qu’on
avait omis de brûler (1).
Un jeune homme traversant pendant la nuit une ruelle
(i) Traité pratique des maladies mentales, p. 357 et 358.
— 28 —
étroite, avec sa maîtresse, passe sous le cou d’un cheval atta¬
ché à la porte d’un marchand de vin. Il était dévot et sa liaison
entretenait sans doute du trouble dans sa conscience. Ému
après coup, il réfléchit que le cheval pouvait être morveux,
avoir déposé sur lui du virus infect, et que lui-même était ex¬
posé à la maladie. Bientôt l’approche d’un chien lui cause la
même crainte à propos de la rage, et le voilà vendant, chan¬
geant, donnant, lavant ou brûlant sa garde-robe , et scrutant
une à une toutes les parties de son corps, pour y découvrir, des
indices de morve ou de rage (1).
Une jeune fille, qui vers l’âge de douze ans avait déjà été
tourmentée par des scrupules religieux, voit venir presque
chaque jour à la maison paternelle une personne atteinte de
cancer ulcéré de la face. Elle ne paraît d’abord éprouver ni
dégoût, ni répulsion, ni crainte, mais on remarque qu’elle de¬
vient triste , qu’elle semble préoccupée, qu’elle ne répond
qu’en termes évasifs aux questions qu’on lui adresse , et l’on
finit par savoir qu’elle est obsédée par la pensée que tous les
linges et tous les objets de la maison sont plus ou moins im¬
prégnés et recouverts de matière cancéreuse. Sous l’influence
de cette appréhension, elle perd le repos, ne sait plus quelle
contenance tenir, et passe son temps à brosser, à frotter et à
laver. Elle reconnaît parfaitement bien que ses terreurs n’ont
nul fondement, mais elle ne peut les chasser de son esprit.
Sa vie est une torture de tous les instants. Peu à peu, et très-
lentement , les craintes disparaissent et le retour à l’état nor¬
mal s’effectue.
Quelques années plus tard, cette jeune fille, dont la santé
physique est excellente et dont l’état mental est irréprocha¬
ble, se marie et devient mère. Aucun trouble intellectuel n’ap¬
paraît soit pendant la grossesse, soit pendant la période puer¬
pérale. Elle n’a aucun souci et se trouve très-heureuse. Un
jour, on lui dit qu’un chien enragé est entré dans la maison
qu’elle habite ; elle ne l’aperçoit pas, n’est aucunement touchée
(I) Delasiauye. Journal de médecine mentale, t. V, p. 79.
— 29 —
par lui, mais est très-émue. Elle se préoccupe, s’attriste, ne
dit rien à personne , s’assombrit un peu et finit pas avouer à
son mari qu’elle s’alarme certainement à tort, mais qu’elle a
peur de trouver « de la poussière rabique » sur les meubles,
sur la cheminée, sur le parquet, dans ses poches, dans les vê¬
tements d’autrui, dans les ustensiles de ménage, en un mot
partout. Elle essuie, frotte, brosse ou lave tout ce qui a pu
être touché par elle chez quelqu’un, et elle n’ose pas mettre la
main sur les boutons de porte.
Cette dame, âgée aujourd’hui de trente-six ans, que E. Blan¬
che connaît parfaitement et que j’ai vue plusieurs fois tout
récemment, se dit très-affligée et très-malheureuse, déplore
son état, avoue que ses perplexités n’ont rien de fondé et rien
de raisonnable et réclame à grands cris sa guérison. Elle a
deux fils et se dit prête à tout tenter pour arriver à son réta¬
blissement. Va-t-elle se remettre comme la première fois?
En 1868, j’ai vu en consultation, avec A. Ferrand et J. Falret,
un homme déjà âgé, maire d’une ville importante de France,
que la crainte du contact des objets extérieurs rendait extrê¬
mement malheureux. Il était triste, pensif, taciturne; il ne
pouvait pas toucher à une série d’objets déterminés, et notam¬
ment à tout ce qui était en cuivre, mais sa principale frayeur
était d’être mordu par un chien enragé. Il ne sortait jamais
sans être armé d’une grosse canne, et, dans les rues, il éloi¬
gnait de lui tous les chiens. Il portait constamment dans ses
poches un flacon d’ammoniaque et l’arsenal nécessaire pour
une cautérisation. Il avait pris des arrêtés municipaux d’une
rigueur insolite contre les chiens non tenus en laisse et non
muselés, ne tenait aucun compte des réclamations de ses admi¬
nistrés, et faisait verbaliser avec énergie contre tous les con¬
trevenants. Personne ne se doutait du motif réel de ces sévé¬
rités spéciales, et le maire de *** continuait à passer pour un
administrateur distingué et zélé. Je n’ai jamais su ce qu’était
devenu ce malade.
V. — M. A..., employé, âgé de quarante-cinq ans, intelligent, ins-
- 30 —
truit, qui s’adonna, à diverses époques de sa vie, â des pratiques igno¬
bles, rapporte lui-même son observation dans les termes que voici :
« J’ai commencé à éprouver les premiers symptômes de ma mala¬
die nerveuse, vers l’âge de dix-sept ans. Jusqu’à cette époque j’avais
joui d’une assez grande liberté d’esprit, et j’envisageais la vie sous
des couleurs assez riantes; cependant, dès ma plus tendre enfance,
j’avais une très-grande peur de l’eau, et souvent, la nuit, j’avais des
cauchemars qui me faisaient crier à un tel point que le lendemain
matin, j’avais une extinction de voix et que je me sentais énervé. Je
fus d’abord assailli par des scrupules religieux. 11 me semblait que je
ne disais pas bien mes prières, et je me suis vu les recommencer
jusqu’à trois ou quatre fois ; souvent le soir je m’endormais à genoux,
et je restais dans cette posture toute la nuit. N’ayant pas toujours
été sincère dans mes confessions, il me semblait que je n’avais pas
dit tous mes péchés à confesse, et je m’accusais de choses que je
n’avais pas faites. Je ne voyais en Dieu qu’un juge inexorable, prêt
à mé punir; et la nuit, dans mes rêves, je voyais l’enfer prêt à
m’engloutir. Cet état dura environ trois ans, au bout desquels, fati¬
gué d’un joug aussi dur, je finis par abandonner mes pratiques reli¬
gieuses; et, le doute survenant, de chrétien je devins incrédule. Je
restai plusieurs années dans un état de pyrrhonisme, temps le plus
malheureux de ma vie ; mais alors, éprouvant le besoin de croire,
j’embrassai le déisme. Les idées religieuses ont sur moi beaucoup
d’influence, puisque aujourd’hui même, où je ne crois plus à la révé¬
lation, j’ai souvent des scrupules au sujet de certaines doctrines que
l’Église enseigne* Quelquefois j’entre dans les églises, chose que je
ne devrais jamais faire, car les chants religieux, les orgues, les céré¬
monies excitent ma sensibilité nerveuse et me font pleurer. 11 y a
alors combat entre mon imagination et ma raison. Et lorsque je suis
sorti de l’église j’éprouve les angoisses du doute.
Je m’interroge alors et je me demande ce qu’il y a de vrai, ce qu’il
y a de faux, cë que c’est que la divinité, ce que c’est que l’huma¬
nité, ce qu’on entend pat l’intelligence, la raison, la conscience et
le libre arbitre, l’âme et le corps, la vie et la mort.
J’ai toujours eu une très-grande peur de la mort, ce que fit naître
en moi des doutes sur ma santé. Malheureusement une circonstance
iinpréVue vint favoriser ce développement, car chaque idée fixe
qui a surgi dans mon esprit a été le résultat d’un fait qui m’est
propre, oü que j’ai vu, ou bien que l’on m’a raconté ; et ce fait était
exagère ou dénué de fondement.
Je fus placé chez un herboriste. Un jour, on me fit piler delà
— 31 —
chaux vive sans couvrir le mortier. J’éprouvai des étemumeuts.
Quelqu’un me conseilla de voir un médecin. Ce médecin eut l’im¬
prudence de me dire que je pouvais bien avoir les poumons brûlés.
Ce fut un coup de foudre : il n’y eut plus dès lors de repos pour
moi. Je ne pensais plus qu’à la mort, la vie me devenait insuppor¬
table 5 l’idée du suicide, que j’ai toujours combattue, de toutes mes
forces, me revenait continuellement à l’esprit. Je n’osais plus passer
sur les ponts ni regarder par les fenêtres. Chaque fois que je voyais
délayer de la chaux, j’éprouvais de la terreur et je m’enfuyais. Cette
crainte était tellement grande que, sept ans après cet accident, me
trouvant placé en qualité de sous-maître dans une pension qui se
trouve située dans un petit village aux environs de Paris, ayant
appris que la fontaine de la maison avait été réparée avec du ciment
qui avait, dit-on, occasionné une gastrite à une personne qui avait
bu de l’eau d’une autre fontaine réparée avec le même ciment, je
suis resté près de quatre mois sans boire, c’est-à-dire ne buvant de
l’eau que furtivement et quand je sortais. Je consultai alors un autre
médecin qui me tranquillisa l’esprit par une réflexion fort judicieuse,
en me faisant remarquer que si j’avais eu les poumons brûlés je
serais mort depuis longtemps, et que l’intérieur du nez et de la
bouche n’étant pas brûlé, les poumons ne l’étaient pas non plus.
Dès lors je me sentis rassuré.
Vers l’âge de dix-huit ans, je tombai dans des écarts infâmes que
je n’ose pas nommer, ce qui occasionna chez moi la tristesse la plus
terrible, celle du repentir, qui est celle dont j’ai le plus souffert. A
vingt-trois ans, je contractai une maladie syphilitique dont jene me
suis jamais cru bien guéri, quoique j’eusse tout tenté pour me réta¬
blir. De vingt-trois ans à trente-sept, j’ai gardé la continence.
Dans ma jeunesse, ma mère ainsi que d’autres personnes m’avaient
toujours recommandé de ne pas mettre d’épingles dans ma bouche
ainsi que dans mes oreillesj me disant cela faisait mourir. Cette
recommandation s’était profondément gravée dans ma mémoire. Or
il arriva que dans un songe je m’imaginai avoir laissé échapper une
épingle dans mon oreille. Dès lors ma malheurseuse imagination
travailla. Pendant six mois j’allai dans les hôpitaux consulter les
chirurgiens qui ne trouvèrent jamais l’épingle imaginaire. Enfin
j’achetai un outrage d’anatomie pour étudier la structure de l’oreille,
et je vis que ce que je m’étais figuré était impossible. Seulement une
autre crainte s’empara de moi, ce fut celle, d’avoir crevé le tympan
en fouillant dans mon oreille. Aussi depuis lors n’ai-je jamais osé net¬
toyer mes oreillesj ce qui fait que lè cérumen, s’agglomérant depuis
— 32 —
si longtemps, j’entends assez mal. Une autre crainte relativement
aux épingles me survint quelques années après. Je trouvai par mal¬
heur une épingle dans mon potage. De nouvelles appréhensions
s’emparèrent de moi, je n’osaîs plus manger, je restais quelquefois
deux jours sans rien prendre. Je devins très-maigre. Cet état dura
quatre ans, au bout desquels je demandai qu’on me fît entrer dans
une maison de santé.
Vers l’âge de vingt-deux ans, une autre crainte vint me troubler.
Me trouvant dans la rue Jacob, je vis emmener à l’hôpital de la Cha¬
rité une dame et un jeune homme qu’on avait garrottés. On me
dit qu’ils avaient été mordus par un chien enragé. J’appris qu’ils
étaient morts quelques jours après. Cela me fit une telle impression
que dès ce moment j’ai toujours eu peur des chiens et que je n’ose
pas m’en approcher. Aussi, si par malheur un chien s’avance auprès
de moi lorsque je mange, tout en moi se paralyse : j’éprouve une
espèce de défaillance. Il y a environ sept ou huit ans, un chien ayant
fait des ordures chez moi, je fus obligé de les enlever ; or, depuis ce
temps, il me semble que tous les objets que j’ai été obligé de tou¬
cher après cet accident sont susceptibles de communiquer la rage.
Je me figure toujours que je ne me suis pas bien lavé les mains!
Aussi, actuellement, je ne mange jamais sans m’être scrupuleuse¬
ment lavé les mains. Cette crainte si forte me semble suggérée par
l’idée que la science est impuissante à guérir l’hydrophobie.
Je suis entré dans la maison de santé de Charenton, vers l’âge de
trente-deux ans. La nourriture prise à des heures régulières, lesbains,
le régime de la maison, contribuèrent beaucoup à me rendre maître
de mes craintes et de mes frayeurs, car je dois dire que lorsque je
refusais de manger, les nerfs avaient beaucoup plus d’empire sur
moi. Dès ce moment, je pris la résolution, et me fis un cas de cons¬
cience de ne manquer aucun de mes repas. Aussi de maigre que
j’étais, je pris en moins de deux ans un certain embonpoint. Malgré
cela je souffrais toujours. J’eus le malheur de perdre ma mère. Pen¬
dant sa maladie, ma mère avait reçu des soins très-dévoués de la
part d’une de ses amies. Cette personne étant venue à tomber malade
elle-même, ma mère me pria de la placer dans la maison munici¬
pale de santé. Plusieurs personnes m’assurèrent que cette pensée
lui était venue parce qu’elle ne voulait pas être enterrée dans le
cimetière de notre localité. Partageant cette manière de voir, je
m’empressai d’accomplir sa volonté, en employant toutes les précau¬
tions nécessaires pour son transport. J’eus le malheur de la perdre
le lendemain de son entrée dans la maison de santé. On eut le tort
— 33 —
de me dire que le traQsport pouvait avoir accéléré sa mort. Ce fut
pour moi un nouveau chagrin, chagrin qui dure encore. J’aurais dû
me souvenir que deux médecins l’avaient condamnée quinze jours
auparavant !
Actuellement (octobre 1875), quoique je sois plus maître de moi
qu’il y a quinze ans, je dois dire qu’il y a des moments où je souffre
beaucoup et presque autant qu’à cette époque, parce que ma mé¬
moire me fournit un plus grand nombre de faits qui servent de pâ¬
ture à mon imagination. En voici un exemple. Étant jeune, j’étais
d’un caractère assez doux, peut-être un peu débonnaire. Ayant eu
un démêlé avec un enfant de mon âge et ayant été brutalisé par lui,
quelqu’un me dit que j’étais trop bon, et que, si mon agresseur reve¬
nait me faire du mal, je prisse un couteau : ce que je fis pour lui
faire peur. Cela n’alla pas plus loin. Le père de l’enfant m’accabla
de reproches, et l’homme qui m’avait conseillé d’agir ainsi, au lieu
de me défendre, garda le silence. Cette pensée me revient à l’es¬
prit au bout de trente ans, et mon imagination vagabonde me fait
croire que j’ai usé du couteau, ce qui me cause quelquefois des
cauchemars. Il faudrait, pour me dissuader de cette folie, que je
visse la personne, mais je l’ai perdue de vue depuis si longtemps !
En terminant ce résumé, je dirai que j’éprouve un grand chagrin
de me voir ainsi, et que le projet de me détruire se présente souvent
à mon esprit. On m’a conseillé de me marier, mais je n’y consens
pas. »,
Ce malade suit un traitement dont j’espère de bons résultats. Il
prend de 2 à 4 grammes par jour de bromure de potassium, fait
des lotions froides et de l’exercice. Il a renoncé à son culte pour
Platon et à la méditation des ouvrages philosophiques ; il s’occupe
sans cesse et doit consacrer ses loisirs à la lecture et à l’annotation
des œuvres historiques de M. Thiers. Puissé-je lui avoir bientôt rendu
le calme dont il a tant besoin !
On rencontre parfois des malades qui essayent de lutter, qui
s’efforcent de vaincre leurs répugnances, qui tentent de sur¬
monter leurs répulsions ; ils se cramponnent en quelque sorte
et posent avec une lente timidité la main sur les objets qui les
effrayent, mais ils pâlissent d’ordinaire et lâchent bientôt prise.
Quelques-uns entrent de plain-pied dans une crise. Et cepen¬
dant, même encore à ce moment, ils conviennent de l’inanité
et de la sottise de leurs terreurs, et ils seraient au besoin les
3
— 34 —
premiers à se moquer d’eux-mêmes ! Ils sont cependant capa¬
bles d’efforts soutenus sur un point déterminé : ils craignent
de passer pour ridicules, et ils ont peur d’être pris pour des
aliénés. Ils s’invectivent et se violentent au besoin, afin qu’une
de leurs singularités soit évitée ou inaperçue. En face du
médecin, ils lui disent : « N’est-ce pas que j’ai bien toute ma
raison, que je ne suis point atteint de folie? Dites le-moi et
répétez-le-moi bien, n’est-ce pas que je ne perds pas l’esprit
et qu’il ne faudra jamais m’enfermer? » Leur insistance est
d’une grande ténacité et ne finit par céder qu’après les affir¬
mations les plus réitérées et les moins sincères de parfaite
intégrité mentale. Seulement, la trêve n’est point de longue
durée.
VI. — M. Jules T..., employé supérieur d’une grande administra¬
tion, âgé de quarante ans, est un calculateur habile. Il passe six ou
sept heures par jour à vérifier les comptes les plus compliqués; il est
d’une urbanité parfaite et très-aimé. 11 entend parler un jour d’un
cas de folie héréditaire, et à partir de ce moment, il s’interroge lui-
même : « Comment mon père a-t-il succombé? Est-il vrai qu’il ait
eu une hydropisie? N’était-il pas en enfance déjà depuis un certain
temps? Cette enfance-là n’est-elle pas un genre de folie? Et ma
mère, était-elle saine d’esprit? Comment se fait-il qu’elle soit morte
subitement? Avait-elle une lésion dans le cerveau? Pourquoi mes
parents ne m’ont-ils jamais parlé de mon grand’père et de ma
grand’mère? Us ‘avaient donc intérêt à me cacher quelque chose,
la folie alors? » Il fait part de ses angoisses à l’un de ses amis, qui
chaque fois le tranquillise et lui affirme qu’il n’a jamais compté
d’aliénés dans sa famille. Il accepte avec bonheur l’explication,
s’éloigne convaincu qu’il n’est point héréditairement prédisposé à
l’aliénation mentale, puis redevient inquiet, est rassuré de nouveau,
et ainsi de suite.
Plusieurs années se passent de la sorte au milieu de ce calme
relatif; mais l’ami de M. Jules T... est appelé tout à coup à des fonc¬
tions administratives en province, quitte Paris et vient me recom¬
mander le malade à son insu. Je ne tardai paSj en effetj à recevoir
sa visite et ses confidences et à être très-longuement questionné
par lui. Je le tranquillise; il s’éloigne satisfait et reconnaissant;
mais il revient à des intervalles irréguliers et parfois à des heures
— 3o —
insolites. Je le trouvai un soir devant la porte de mon domicile,
il m’attendait depuis deux heures : il était tourmenté et avait besoin
d’être rassuré.
M. Jules T... a peur des souris. Lorsqu’il voyage, il passe l’inspec¬
tion minutieuse de sa chambre d’hôtel, et, quand il a reconnu à
certains indices qu’il pourrait bien y avoir des souris, il s’étend tout
habillé sur le lit et laisse sa bougie allumée. Il est très-supersti¬
tieux, ne lit jamais les faits divers des journaux, n’ose pas toucher
à un rasoir, à une substance chimique, et en général à tout ce qui
a pu être acheté dans une pharmacie; il est toujours ganté et n’of¬
fre la main à personne. Il redoute particulièrement « l’air vicié » et
a fait établir dans ses bureaux un système particulier de ventilation.
Il n’entre jamais dans un cimetière, « dans la crainte de marcher
sur les morts ». Enfin, depuis quelques mois, il se demande avec in¬
quiétude si ses chefs et le public ne vont pas le soupçonner de re¬
cevoir « des pots-de-vin »?
Le phénomène des crises et le besoin d’être rassuré jouent
dans rhistoire générale de la folie du doute (avec délire du
toucher) un rôle trop important pour qu’il me soit possible
de passer ici sous silence la relation d’un fait véritablement
bien bizarre, et dans lequel on va retrouver quelques-uns des
signes pathognomoniques de la névrose qui nous occupe.
Un malade âgé de soixante ans, observé par Baillarger, com¬
mença à éprouver, vers sa quinzième année, une aberration
qui n’a jamais cessé depuis plus de quarante-cinq ans. Quand
il allait au théâtre, il en revenait tourmenté du désir de con¬
naître tout ce qui se rattachait aux actrices qu’il avait vues. II
aurait voulu savoir le lieu de leur naissance, la position de
leur famille, leur âge, leurs habitudes, leur genre de vie, etc.
Ce désir était si vif, si persistant, qu’il constituait dès lors une
véritable idée fixe. Peu à peu, il survint un état d’angoisse et
de souffrance, et le malade dut renoncer à aller au théâtre;
mais bientôt l’idée fixe, au lieu de s’appliquer aux actrices seu¬
lement, survenait à l’occasion de la rencontre de toute femme
que Mi X... jugeait jolie. Il put toutefois dissimuler son état,
suivit la carrière qu’il avait embrassée et finit par se marier.
mais l’idée fixe persista. Lorsque, bien malgré lui, il apercevait
une femme qu’il jugeait jolie, il était pendant plusieurs heures
en proie à une grande anxiété. « Quand j’allais à l’église, disait-
il, on aurait pu croire à beaucoup plus de recueillement que
je n’en avais réellement. Je tenais les yeux constamment
baissés, mais j’étais alors dominé par la crainle qu’entrete¬
nait ma situation maladive.» Depuis quelques annéesM. X... s’est
retiré des affaires, et sa maladie a fait de très-grands pro¬
grès. Quand il sort, il a besoin d’être accompagné par une
personne qui n’a d’autre mission que de le rassurer sur toutes
les femmes qu’on rencontre. Pour chacune d’elles, M. X...
fait la même question, et demande si elle est ou non jolie ? on
répond uniformément et dans tous les cas que la femme qu’on
vient de rencontrer n’est pas jolie, et M. X... se contente de
cette réponse. Cependant toutes les précautions prises n’em¬
pêchent pas que dés crises assez fréquentes n’aient lieu, et
ces crises se prolongent chaque fois plusieurs heures.
M. X... en est venu à ne plus sortir que la nuit. Lorsqu’il
doit voyager en chemin de fer, il choisit les trains de nuit, pour
être moins exposé à rencontrer des femmes. Il a des crises,
non plus comme autrefois, parce qu’il ne peut avoir des détails
sur la vie et les habitudes de telle ou telle femme, mais ces
crises surviennent quand il ne peut savoir si telle femme qu’il
a rencontrée est ou non jolie. Le fait suivant a été rapporté par
la femme du malade : M. X... avait fait quinze lieues en che¬
min de fer. Avant de partir, il avait à peine entrevu la dame
qui distribuait les billets, et il n’avait pas fait sa question habi¬
tuelle. Une fois arrivé, il s’aperçoit de son oubli, et il demande
si la buraliste était ou non jolie. C’était au milieu de la nuit ;
la personne chargée .de répondre était très-fatiguée, et elle
oublia son rôle habituel. Au lieu de dire que la dame qui avait
donné les billets n’était pas jolie, elle répondit qu’elle ne
l’avait pas regardée et qu’elle n’en savait rien. Alors com¬
mença une crise si intense qu’il fallut consentir à faire partir
quelqu’un avec la mission spéciale de déclarer au retour que
la buraliste était laide !
Au demeurant, le malade est intelligenl, raisonnable sur
— ZI —
tous les autres points, et il a très-bien administré sa fortune.
Son existence a toujours été des plus malheureuses, et sa
famille vit dans le tourment et l’affliction.
Lorsque les malades commencent à s’acheminer vers la fin
de la deuxième période, ils s’accrochent en quelque sorte à
une personne de leur entourage, ne veulent plus la quitter, en
font leur véritable souffre-douleur, lui rabâchent constamment
les mêmes choses dans les mêmes termes et sollicitent d’elle les
mêmes explications et les mêmes paroles tranquillisantes. Mal¬
heur à celui qui devient l’objet de la préférence, car il est bien¬
tôt absorbé en entier, est tenu à se sacrifier complètement, à
rester emprisonné dans le cercle de plus en plus restreint des
divagations et des excentricités de son compagnon, à ne s’oc¬
cuper absolument de rien en dehors, à partager la chambre et
même souvent le lit du délirant, lorsqu’il s’agit, par exemple,
comme je l’ai vu, d’une mère et de sa fille, des deux sœurs ou
d’une dame et de sa femme de chambre. Rien n’est plus dou¬
loureux que cet échange constant de demandes et de réponses,
de perplexités et de consolations qui a lieu jour et nuit entre
un sujet actif, qui est aliéné, et un sujet passif, qui est raison¬
nable et se dévoue ! «Je suis maintenant habituée à ma chaîne,
me disait une mère, et, pourvu que ma fille vive, l’esclavage
me paraîtra doux. »
Falret père a longtemps soigné, à la maison de santé de
Vanves, une dame très-intelligente, très-anxieuse, et que pour¬
suivaient sans cesse les mêmes craintes chimériques. Il la ras¬
sura chaque jour, car elle s’inquiétait de nouveau dans l’inter¬
valle de ses visites, et enfin il poussa la sollicitude jusqu’à
répéter un certain nombre de fois les mêmes phrases et les
mêmes mots, dans un ordre convenu et arrêté d’avance. La
malade se calmait, savourait les paroles de Falret et ne crai¬
gnait pas d’abuser en disant : « lledites-moi bien encore telle
chose. » Et Falret ne se lassait point et répétait encore sa
phrase. Le moyen finit par être de moins en moins efficace, et
la malade irritée, inquiète et ingrate, laissa un jour échapper
un reproche impertinent : « Pourquoi, dit-elle, me dire d’aussi
excellentes choses avec un aussi vilain accent méridional? »
Le médecin feignit de ne point entendre et continua toujours
sa mission consolatrice.
Ce besoin indispensable d’une affirmation étrangère et cette
facilité extraordinaire à se laisser rassurer sont vraiment bien
dignes de remarque. On les retrouve dans toutes les observa¬
tions. — Une dame craint à chaque instant d’avoir dit ou fait
quelque chose de répréhensible. Une personne dans laquelle
elle a une grande confiance, lui affirme qu’elle n’a rien dit et
rien fait qui puisse l’inquiéter, et elle se calme aussitôt. —Une
demoiselle, âgée de vingt-trois ans, demande à sa jeune sœur,
âgée de treize ans, de lui écrire telle ou telle affirmation pour
apaiser une crainte puérile et absurde, et elle la tourmente sans
désemparer jusqu’à ce qu’elle ait enfin cédé. —Une dame de
trente ans déclare que son petit garçon, âgé de huit ans, la
raisonne très-bien et lui démontre avec conviction qu’elle a tort
d’avoir peur. «Une m’en faut pas davantage, dit-elle, pour
que j’évite une crise. »
VII. — M. Charles V..., commis aux écritures, âgé de vingt ans,
masturbateur effréné, s’interroge sur la question de savoir s’il n’a
pas fait le serment de se crever un œil pour être agréable à Dieu,
et alors il se questionne sur les qualités nécessaires de Dieu, sur
l’impossibilité de sa part d’accepter des sacrifices, sur l’inutilité des
mutilations, sur le péril qui résulte des vœux précipités, sur l’obli¬
gation de tenir un serment et sur les devoirs de l’homme envers
Dieu. Il est très-intelligent, trouve presque réponse à tout, mai s
il remarque cependant qu’il sait beaucoup mieux s’interroger que
se répondre. « Je cherche trop à approfondir, dit-il, et je sens que
e m’impose un travail qui doit en peu de temps détruire mes fa¬
cultés. »
Une rémission complète se produit, et deux années après il se
demande tout à coup comment il se crèvera un œil? 11 a peur alors
des rasoirs, des couteaux, des canifs, des ciseaux, des aiguilles, des
hameçons, des fourchettes, des instruments en acier poli, tranchant
et luisant, du cristal, du verre, etc. 11 n’ose toucher à aucun de
ces objets, s’impatiente contre lui-même et déplore son état. Un
certain jour, il a peur de son porte-plume et renonce à écrire.
Chez lui plus le délire du toucher progresse et plus la folie du
— 39 —
doute diminue. Ses « réflexions philosophiques », comme il les ap¬
pelle, sont moins tenaces, mais il est poursuivi dans l’obscurité par
des images licencieuses. Il ne s’est jamais livré au coït, mais il a
passé, un jour plus de deux heures chez une fille publique, qu’il
avait rencontrée dans la rue, et il rapporte qu’il a éprouvé une
impression très-profonde à la vue des nudités et des poses lubriques
de cette prostituée. Il a beaucoup de peine depuis ce temps à se
défaire des images qui l’importunent, l'énervent et provoquent par¬
fois chez lui de véritables crises d’excitation, d’angoisses, de pleurs
et de demi-turbulence.
Il a sa mère pour confidente, et c’est par elle seule qu’il est ras¬
suré et consolé. Il la quitte le moins possible. Ils sont convenus
entre eux d’un petit dialogue stéréotypé, invariablement conçu dans
les mêmes termes, et qui suffit à la mère pour savoir ce qu’elle veut
connaître, et au fils pour être averti ou tranquillisé. Ainsi, à l'oc¬
casion des habitudes quotidiennes d’onanisme, de son fils, la mère
dit : « Charles, as-tu été sot aujourd’hui? » Si le fils répond ; « Oui,
tant de fois, » la mère doit répéter une ou plusieurs fois : « Tu
te fais mourir, bientôt je n’aurai plus d’enfant. » Et alors les meil¬
leures assurances sont données pour l’avenir. — Si le fils répond :
« Non, je n’ai pas été sot, » la mère doit dire : « C’est très-bien,
sois sage, tu vivras et je serai heureuse. » Dans ses plus grandes anxié¬
tés, quelques paroles de sa mère suffisent pour ramener aussitôt
le calme, la gaieté et les apparences d’une raison irréprochable.
Je crains le découragement, le tædium vitæ et le suicide, dans
le cas où les déperditions séminales ne pourraient pas être abolies.
Ce jeune homme avait eu une première fois, à l’âge de treize ans,
trois semaines après sa confirmation, des scrupules de conscience,
et il s’était considérablement tourhienté. On n’y fit point attention
alors, et ce trouble s’était dissipé.
La crainte continuelle d’avoir touché des objets malpropres
ou contenant des substances toxiques, de s’être trompé en
comptant des pièces de monnaie, d’avoir emporté telles ou
telles choses par mégarde, d’avoir fait du tort à autrui d’une
façon quelconque, ou enfin la crainte de contaminer les autres
par le toucher, conduisent les malades, ainsi que je l’ai
déjà établi, à des pratiques exagérées et absurdes de propreté,
à des lavages répétés et à des monologues sans fin sur la ques¬
tion de savoir si toute trace de malpropreté a disparu et si les
— 40 —
lavages ont été suffisants. Jamais ils ne réussissentà se satisfaire,
et jamais ils n’arrivent à se convaincre, même en face de
l’évidence. Bien que le doute ait diminué à ce moment de la
manière la plus appréciable et bien que les interpellations per¬
sonnelles sur les sujets théoriques, abstraits ou ridicules,
aient presque disparu, le doute néanmoins se retrouve encore,
mais il s’est transformé et mis au service des craintes déli¬
rantes du tact. La fusion des deux grands signes cliniques, des
deux particularités pathologiques fondamentales de la névrose,
est opérée. Cette constatation est très-significative, et elle pour¬
rait justifier à elle seule la nécessité et la justesse de l’appella¬
tion nominale que nous avons choisie : folie du doute (avec
délire du toucher).
Une jeune fille, que E. Blanche a connue, éprouve ün jour
une très-vive frayeur pendant un violent orage , mais elle ne
ressent toutefois aucun effet direct ou indirect de la foudre. A
la suite de cette émotion, elle devient triste, préoccupée, taci¬
turne; son caractère s’aigrit, son humeur est chagrine. Elle
cherche à s’isoler, et dès qu’elle est seule, elle se lave les mains
avec un soin minutieux et brosse ses vêtements. On l’inter¬
roge, mais elle ne donne aucune explication plausible et fait
des efforts pour détourner l’attention. Dominée par ses préoc¬
cupations, et de moins en moins maîtresse d’elle-même , elle
en arrive à ne plus pouvoir dissimuler ce qui la rend si per¬
plexe, et elle avoue à ses parents que, depuis le jour de l’orage,
elle a peur de trouver du phosphore sur ses mains, sur ses vê¬
tements, sur les meubles ou même sur autrui. Soulagée par
cet aveu et ne se contenant plus, elle passe toutes ses journées
à se laver, à répandre de l’eau sur les sièges ou sur les par¬
quets et à fuir tout contact avec ses parents et ses amies. Elle
ne veut plus sortir, afin de ne pas être rencontrée et touchée
dans les rues par des gens couverts de phosphore. Entre-t-elle
dans une chambre et aperçoit-elle une boîte d’allumettes, elle
pousse un cri et s’enfuit. Elle ne prend plus ses repas à la
table de la famille , parce que les vêtements de ses parents et
de la domestique , aussi bien que les ustensiles de ménage.
— 41 —
pourraient bien renfermer du phosphore. La vie en commun
cesse d’être possible, le père et la mère sont pris en haine, on
arrive à Paris, on installe la jeune fille dans une communauté
religieuse, et l’on institue un traitement approprié. La même
conception délirante persiste pendant les premiers mois ; la
malade apprécie sa situation, se désespère, reconnaît que ses
inquiétudes sont chimériques et s’efforce sincèrement de les
éloigner de son esprit ; mais elle n’y parvient pas, préfère la
mort au supplice qu’elle endure et fait de'sérieuses tentatives
de suicidé. Enfin, au bout de cinq mois, elle ressent une amé¬
lioration très-grande, se déclare guérie et rentre dans sa
famille. Elle a jusqu’à présent continué à être bien portante
et très-heureuse. Que deviendra-t-elle par la suite ?
Arrivés, après un temps parfois extrêmement long, à la fin
ou presque à la fin de cette deuxième période, les malades
sent de plus en plus craintifs, inquiets et rabâcheurs, et tan¬
dis qu’on les voit multiplier leurs lavages, secouer leurs doigts
ou les frotter les uns. après les autres, passer des heures entiè¬
res à leur toilette et afficher les pratiques les plus exagérées
de propreté, on remarque, d’autre part, qu’ils ne changent
point de linge, qu’ils mettent toujours les mêmes vêtements et
qu’ils finissent par ne plus être couverts que de haillons cras¬
seux. Faisant un jour une visite dans une famille aisée et
d’une grande distinction, je crus pBüvoir admonester sévère¬
ment la malade en lui reprochant sa mise plus que négligée,
alors que je la savais pourvue des effets les plus variés et les’
plus conformes à sa position, et je lui avouai que je ne pouvais
pas comprendre comment elle avait pu, avec l’intelligence,
l’éducation et la piété que je lui connaissais, tomber jusqu’à
un état aussi sordide de dégradation extérieure. — « C’est ce¬
pendant bien facile à comprendre, me répondit-elle ; ma cou¬
turière a un chat. » Ainsi la malade, ayant peur des chats, et,
par extension de tout ce qui, de près ou de loin, avait pu subir
le contact d’un chat, en était arrivée à s’habiller avec de
misérables loques portées depuis fort longtemps par elle, plu¬
tôt que de se vêtir de robes qu’aurait peut-être frôlées le chat
- 42 —
de la couturière ! Je fis aussitôt acheter des étoffes, et l’on
confectionna à domicile deux ou trois toilettes convenables. Le
moyen réussit.
Baillarger a rapporté le cas suivant : « J'ai connu, a-t-il dit,
un malade qui, plein de sens et de raison en dehors de la
crainte absurde qui le poursuivit pendant plus de trente ans,
en était venu à ne plus vouloir marcher que sur une seule des
lames du parquet de sa chambre.
« Ce malade , qui avait une grande position de fortune,
vivait avec du pain sec que son domestique devait aller cher¬
cher dans un quartier éloigné. »
Non-seulement ces délirants vont d’excentricités en excen¬
tricités, marchent sur la pointe des pieds et choisissent en
quelque sorte les lames du parquet ou les pavés sur lesquels
ils vont se poser, prennent pour s’asseoir les précautions les
plus puériles, ne passent que de côté à travers une porte,
s’enveloppent la main pour toucher un objet métallique, ne
poussent plus les portes qu’avec le pied, n’ouvrent ni ne fer¬
ment leurs fenêtres et imaginent invariablement les mêmes
absurdités — puisqu’on les retrouve dans la plupart des obser¬
vations cliniques — mais encore ils en ont conscience, ils les
avouent et les déplorent. Leurs aveux sont pénibles à recevoir.
Ces malheureux, pour implorer notre commisération et nos
soins, mettent de côté tout amour-propre, se rapetissent et
s’humilient. On croirait avoir devant soi un coupable repentant.
Il faut immédiatement faire cesser par les plus encourageantes
paroles une attitude aussi déplacée.Le malade doit se rasseoir
dans sa dignité et se confier de plus en plus à l’homme qui a
l’honneur d’être médecin et non pas Juge d’instruction. Tenir
toujours le malade en considération, ne point lui permettre de
déchéance volontaire, soutenir avec conviction qu’une lésion
mentale n’est point un délit, relever les courages défaillants,
faire entendre à la douleur de rassurantes promesses et res¬
pecter la plus grande des infortunes, tel est le mandat du mé¬
decin aliéniste. Manquer à ces obligations, ce serait mécon¬
naître le plus strict de ses devoirs.
Ces délirants présentent encore une particularité qui leur
— 43 —
est spéciale : ils ont une répugnance très-marquée pour la lec¬
ture des journaux, et ils ont principalement en exécration les
faits divers. Ou ne saurait croire combien les récits dramati¬
ques et lugubres frappent les esprits faibles ou les individus
prédisposés à la folie. Cette clinique journalière du crime, de
l’aliénation mentale, du suicide ou des exécutions judiciaires,
qui malheureusement s’introduit de plus en plus dans les habi¬
tudes du journalisme parisien, a des conséquences vraiment
fâcheuses pour le goût public, la morale, le repos et la santé
des populations. Pourquoi la presse, en quête de situations
émouvantes ou d’événements horribles, familiarise-t-elle de
la sorte ses lecteurs avec les turpitudes sociales et les forfaits
des brigands? J’ignore absolument quel est le bien que peut
répandre ce bilan quotidien de la boucherie humaine, mais ce
que j’atteste, c’est que les névropathes en sont influencés et
malades, et qu’ils rejettent instinctivement la partie du journal
qui est consacrée à la vulgarisation si tristement complaisante
des événements sanglants du jour. Ces malades se connaissent
eux-mêmes, et comme ils se troublent à la moindre émotion,
qu’ils ont une peur confuse de tout danger, qu’ils craignent de
perdre la raison, de commettre de mauvaises actions ou de
faire inconsciemment subir à autrui une malsaine contamina¬
tion, iis suppriment de leur propre initiative une cause réelle
de souffrance morale, et ils s’interdisent les journaux en tota¬
lité ou en partie.
Me voici maintenant arrivé à la relation clinique de deux
observations qui, à des titres divers, présentent un réel intérêt :
VIII.— F..., âgée de vingt-neuf ans, fille et petite-fille de sui¬
cidés, douée de beaucoup d’esprit et très-recherchée dans le monde
par ses qualités affables, mère d’une petite fille de sept ans, lit un
jour dans une revue un article sur la colique de plomb et les acci¬
dents causés parle plomb. Elle n’^tache d’abord aucune importance
à sa lecture, puis elle s’y intéresse, la relit, pose de nombreuses
questions, s’informe des mesures à prendre pour éviter l’intoxication
saturnine, et demande à quels signes on peujt j^ohnaître l’empoi¬
sonnement par le plomb. Six mois se passent sans aucun change¬
ment bien apparent, mais non sans quelque's' appréhensions assez
__ 44 —
singulières, lorsqu’un jour elle remarque que beaucoup d’ouvriers
ont le teint pâle et jaune, et elle infère de là qu’ils ont touché du
plomb, que les manufacturiers sont bien coupables d’empoisonner
de la sorte leurs ouvriers, et que, sans y faire attention, on pourrait
bien contracter soi-même la maladie. Son inquiétude croît chaque
jour.
Après un traitement de trois semaines aux eaux de Plombières et
un voyage d’un mois en Suisse, F.., rentre à Paris dans le
meilleur état physique et en possession du calme et de la
gaieté.
Au bout de deux ans, en 1867, vers le quatrième mois d’une gros¬
sesse, F..., qui paraissait un peu préoccupée depuis quelque
temps, commence à poser à son mari des questions étranges : «Pour¬
quoi les prêtres ne peuvent-ils pas se marier? pourquoi ne portent-ils
pas des moustaches? pourquoi leur est-il défendu d’aller àlachasse?
pourquoi tous les hommes ne sont-ils pas tonsurés? comment peut-
on se faire délier d’un serment? eh quoi consiste une parole d’hon¬
neur? qu’est-ce que c’est qu’un vœu? quelle définition peut-on don¬
ner de la conscience? la raison est-elle supérieure à la conscience,
peut-elle être considérée comme son égale ou lui est-elle inférieure?
pourquoi ne fait-il pas toujours beau temps? comment peut-il
exister des enfants jumeaux? à quoi servent les animaux réputés
nuisibles? »
Depuis les premières semaines de sa grossesse, la malade éprou¬
vait du ptyalisme. Ce phénomène ne tarda pas à l’inquiéter, et elle
déclara un jour qu’elle avait un goût de cuivre dans la bouche, que
sa salive devait en contenir, et qu’elle avait dû être exposée à des
émanations malfaisantes ou à des contacts impurs. A partir de ce
moment, le délire se multipliant par le délire, elle devient perplexe,
prend une foule de précautions puériles, fait à sa domestique des
défenses absurdes, n’ose plus toucher aux boutons de porte et à tous
les objets qui ressemblent au cuivre ou qui pourraient en renfermer,
et elle commence des lavages. Elle analyse son état, reconnaît que
ses craintes ne sont pas fondées, se parle à elle-même et cherche à
se tranquilliser, mais elle a de plus en plus peur du cuivre, se brosse
les dents deux ou trois fois par jour et se lave les mains plus de vingt-
cinq fois, rien que dans la matinée.
La cessation du ptyalisme n’amène aucun changement, la gros¬
sesse s’achève sans embarras nouveau, l’accouchement a lieu d’une
manière toute physiologique, les suites de couches sont naturelles,
l’enfant est placé en nourrice dans les environs de Versailles ; la nou-
Telle accouchée se remet complètement et sort, mais ses frayeurs
persistent et ses lavages continuent. Son mari la rassure, répond à
toutes les questions et paraît accepter avec la bonté la plus résignée
la douloureuse situation qui lui est faite.
Retirée en province pendant les événements de 1870-1871,M“®F...
s’améliore rapidement, se rassérène, prend pari aux angoisses patrio¬
tiques, vit des émotions de tous, lit les journaux, s’occupe de ses
enfants, reprend toutes ses habitudes d’autrefois et se rétaWit.
En novembre 1873, sous l’influence supposée d’une perte d’ar¬
gent et de la possibilité d’une faillite à bref délai, M“®F... s’intimide,
se tourmente, s’émeut, perd l’appétit et le sommeil, s’interroge,
questionne son mari et devient en quelques jours demi-turbulente
et anxieuse. Elle a peur des souris et des rats, fait placer du verre
pilé dans toutes les rainures du parquet de sa chambre, dans les
crevasses des murs et sous sa descente de lit, puis elle évite de tou¬
cher tout ce qui a été en contact avec le sol. Sa robe est-elle tombée
à terre pendant qu’elle se déshabillait, elle refuse de la remettre;
son porte-monnaie, son mouchoir de poche ou ses gants se sont-ils
échappés de ses doigts, elle feint de ne pas les voir et ne les ramasse
pas. Si l’on cherche à la contraindre et si elle est obligée de poser
en tremblant la main sur ces objets, elle pâlit et a une crise.
La crainte des poisons la poursuit, et elle reprend ses lavages. On
l’interrompt pour la prévenir que son dîner est servi, et elle se décide
très-lentement à se mettre à table, puis elle redoute de porter les
aliments à sa bouche, se livre à mille contorsions, soupire,sanglotte,
se déclare la plus malheureuse des femmes, implore la pitié et finit
par mauger dès qu’on l’a tranquillisée et qu’on lui a affirmé à plu¬
sieurs reprises qu’elle est tout à fait en sûreté, qu’elle a faim et
quelle doit faire honneur au repas de la famille.
Depuis deux ans, et malgré de nombreuses et courtes intermis¬
sions, la situation reste à peu près la même, M"*® F... a maintenant
trente-neuf ans. Sa santé physique est excellente et son niveau intel¬
lectuel n’a pas fléchi.
IX. — M‘*« Berthe de ***, âgée de quarante ans, n’a jamais quitté
ses parents. Elle ne paraît pas aimer sa mère, mais elle affectionne
son père jusqu’à l’idolâtrie; elle l’accapare constamment et ne lui
laisse aucune liberté. Elle le questionne et se fait rassurer par lui. Le
jour où je la vis, on m’affirma qu’elle s’était lavée les mains à peu près
deux cents fois depuis le matin ! Je fus extrêmement frappé de l’éléva¬
tion intellectuelle, de l’attitude distinguée et de l’accent douloureux
— 46 —
de cette malade, et, en prenant congé d’elle, après un entretien de
plus de deux heures et demie, j’obtins la promesse qu’elle me résu¬
merait le lendemain dans une lettre sa propre observation clinique.
Je pensais ne recevoir qu’un document très-exact, digne d’être éti¬
queté, classé et consulté à l’occasion, mais on va voir que presque
toute l’histoire de la folie du doute (avec délire du toucher) se trouve
résumée avec sobriété et précision dans lajnote qui me parvint et que
je transcris:
« Je veux TOUS avouer, écrit Berthe de ***, que j’ai hésité à
vous écrire, car, s’il est pénible de dire toutes ses divagations avec
la parole qui s’envole, il est plus pénible encore de les confier à la
feuille qui reste.
v J’étais d’un caractère gai et très-égal, même doux; je ne com¬
prenais ni l’impatience ni la colère, et, si je fais ainsi mon panégyri¬
que, c’est que les souffrances endurées depuis quelques années ont
bien changé tout cela!
« Je faisais mes devoirs en pension et mon travail à l’aiguiUe chez
mes parents avec un scrupule exagéré, puis beaucoup plus tard ont
commencé mes malheureuses manies qui me conduisent rapidement
— je ne le comprends que trop — à la folie, mot terrible, qui me
cause un affreux désespoir.
« Il y a sept ans, j’ai d’abord éprouvé la crainte excessive de souiller
mes vêtements. J’ai redouté ensuite que mes vêtements ne souillas¬
sent mon âme, que l’on ne me permît pas d’entrer dans une église,
et enfin que l’on s’approchât de moi. La peur des boutons de porte
jouait un grand rôle dans mon imagination : je craignais qu’ils ne
fussent souillés par le contact d’autres personnes. Je me lavai les
mains, j’abandonnai mes bonnes habitudes de travail et d’occupa¬
tion intérieure, et je devins chaque jour plus triste en me voyant
poursuivie de la sorte par des craintes continuelles. Les choses les
plus indifférentes pour les autres étaient pour moi l’occasion d’un
affreux tourment. Ma mère, par exemple, avait un chat qui faisait
mon désespoir. Pour ne pas avoir à ouvrir les portes, je les laissais
généralement ouvertes, et je trouvais toujours ce malheureux chat
couché sur mes vêtements ou sur mon ouvrage, ce qui me causait
un grand chagrin et me donnait, je crois, de véritables congestions
au cerveau. Alors je pris à celte époque l’habitude de ne pas sortir
du tout, excepté le dimanche, pour aller à la messe, et cela, afin de
pouvoir plus facilement, en restant à la maison, surveiller le chat et
l’empêcher d’aller dans ma chambre ou partout où j’avais quelques
effets (on a eu le chat deux ans).
« L’idée me vint de consulter une personne de confiance^ qui me
dit bien franchement que tout cela n’était que des manies et des idées
fausses. J’étais bien heureuse, car, ne croyant pas à un état de ma¬
ladie, je me figurais qu’il suffisait d’un simple acte de ma volonté
pour triompher de tout cela ; mais je vis bientôt que toutes ces ma¬
nies me dominaient complètement. Quinze jours après, une idée ter¬
rible me vint; je jetai un cri de désespoir, car je compris tout de
suite qu’elle me dominerait comme les autres et que j’étais perdue.
Cette idée était que je n’étais plus maîtresse de ma volonté et que
je pouvais faire le mal comme le bien, absolument sans m’en aper¬
cevoir. Il y a de cela dix-huit mois à peu près. Vous dire ce que j’ai
souffert depuis est chose tout à fait impossible! Les craintes et les
terreurs ne m’ont plus quittée. N’ayant plus de forces pour soutenir
cet affreux et perpétuel combat de la raison et de l’imagination, per¬
dant chaque jour du terrain, je confiai tout à mes parents : mes cha¬
grins et mes angoisses.
« J’oubliais de vous dire que, depuis longtemps déjà, dans la
crainte excessive dans laquelle je vivais, j’avais pris une habitude
qui a bien fatigué ma pauvre tête, c’était de me parler à moi-même
pour être bien sûre que j’étais ici ou là, de m’en donner des preuves
— qui bientôt ne me suffisaient plus, — d’en chercher d’autres, et
cela, sans interruption; et maintenant, j’en suis prrivée à me faire
accompagner dans chaque pièce où je vais, et c’est à peine si cette
surveillance me suffit.
« J’oubliais encore de vous dire que souvent mes mains éloi¬
gnent dans le vide des objets que je ne vois même pas, mais que je
crains.
« Une pareille vie n’est pas tenable. Mes nuits sont générale¬
ment mauvaises, très-agitées, et la matinée surtout est très-
difficile. »
Sur mon conseil, cette malade si franche, si intelligente et si mal¬
heureuse, est allée suivre un traitement hydrothérapique sévère et
très-prolongé, à Neuiliy, chez le docteur Daily, et j’ai appriSj par
des lettres ultérieures,. empreintes des sentiments les plus élevés et
les plus reconnaissants, qu’elle allait très-bien et était résolument
entrée dans une phase de réiûission absolue.
Le phénomène des phases suspensives dans le cours de lâ
folie du doute (avec délire du toucher) a une très-grande
importance et a besoin d’étre décrit ici, car s’il s’observe si
— 48 —
fréquemment dans les deux premières périodes de la névrose,
il ne se retrouve pas dans la troisième période, la maladie
étant alors devenue permanente, continue.
Il existe deux sortes de phases suspensives : l’intermission
et la rémission.
Sans qu’il soit possible de comparer Tintermission au jour
^plein et entier qui sépare deux nuits, on peut dire cependant
que la suspension temporaire des manifestations du délire, sans
être complète, est encore assez étendue. Voyez un malade
traversant une intermission, et vous le trouverez un peu morne,
moins hésitant, plus confiant en lui-même et dans autrui, dé¬
barrassé ou à peu près de cette production spontanée, involon¬
taire et irrésistible de séries de pensées sur les sujets les plus
ridicules, ne délibérant plus à part lui sur des abstractions,
moins scrupuleux, moins craintif, moins rabâcheur, osant da¬
vantage porter la main sur tels ou tels objets, ne recourant
plus à des lavages aussi répétés et conservant une attitude
générale infiniment plus tranquillisée. Sans être évasives, ses
réponses seront brèves. 11 consentira peut-être à vous parler
du poison qu’il redoutait, de l’animal pour lequel il se sentait
tant de répulsion, ou il saisira par bravade devant vous et
sans émotion apparente le bouton de la porte ou telle pièce
de monnaie, mais vous remarquerez bien vite qu’il n’est point
sûr de lui, et vous agirez prudemment en ne poussant pas trop
loin les constatations et les épreuves. Prêtez, en effet, une
oreille attentive, et vous entendrez gronder l’orage dans le
lointain. Vienne un changement brusque de température, une
contrariété, une époque cataméniale ou une nouvelle impré¬
vue, et l’entr’acte sera terminé. Le rideau, une fois levé, vous
deviendrez de nouveau le témoin de la scène délirante, que vous
connaissez. Qu’aura duré cette intermission? Vingt-quatre
heures, quatre jours, deux ou trois semaines au plus.
La rémission, nu contraire, est un état bien autrement per¬
sistant et tout à fait de meilleur aloi. Une rétrocession patho¬
logique entière s’est opérée, et le malade est redevenu ce qu’il
était auparavant. 11 parle de la meilleure foi du monde de ses
scrupules, de ses interrogations personnelles, de ses représen-
— 49 —
tâtions mentales d’images, de ses crises d’excitation avec aura
épigastrique préalable; il marche et s’asseoit comme tout le
monde, touche à tout sans aucune réminiscence émotive, déplore
et combat ses anciennes perplexités chimériques, remercie
affectueusement tous ceux qui l’ont écouté et rassuré, serre
les mains de ses amis, carresse le chat ou joue avec le chien,
ouvre et ferme les portes et les fenêtres, et ne cause plus jamais
avec lui-même. Sa réhabilitation intellectuelle est complète.
Le paix est signée et cette intégrité mentale va demeurer ferme
et se soutenir dans toute sa pureté pendant un temps donné,
qui sera peut-être de deux mois, de six mois, d’un an, de trois
ans ou même de cinq ans.
Tous les malades, en général, ont des intermissions plus ou
moins fréquentes, mais certains n’ont jamais de rémissions.
Il se passe là un phénomène qui ne dépend à peu près que du
plus ou moins d’hérédité morbide chez le sujet délirant. Les
longues trêves sont d’autant plus rares que la prédisposition
à la folie était plus accentuée.
Pendant le cours de la névropathie qui nous occupe ou pen¬
dant les intermissions, les malades écrivent sans trop de répu¬
gnance et dépeignent avec un soin infini toutes leurs angoisses,
mais dès qu’une rémission véritable se prononce, il importe
de ne point solliciter d’eux une relation de leurs souffrances
morales passées et de leurs actes puériles et absurdes. Ils ne
reçoivent une pareille demande qu’avec dépit et se refusent à
l’accorder. Toute insistance sur ce point dégénérerait en une
indiscrétion. C’est même là l’une des nuances qui différencie
encore l’intermission de la rémission.
Puisqu’il vient d’être question des écrits, je désire transcrire
ici lé récit des appréhensions, des anxiétés et des douleurs
d’une jeune fille de dix-huit ans, traitée par Baillarger en 1857 :
« Il y aura bientôt trois ans, écrit-elle, que mes craintes et mes
inquiétudes ont vraiment pris le cîffactère d’une maladie ; avant,
elles m’obsédaient bien aussi, mais avec moins de ténacité. Toute
jeune, je me tourmentais avec une facilité incroyable pour mes con¬
fessions et mes communions surtout, au point que c’était plutôt un
tourment pour moi qu’une consolation. Pour mes confessions, je
h
— bO —
recherchais toujours dans ma vie passée pour voir si je n’avais pas
oublié quelques fautes auxquelles je donnais toujours une gravité
sérieuse, et quand la mémoire me faisait défaut sur les circonstances,
la crainte, l’incertitude me faisaient toujours supposer le pire. Enfin
j’étais comme une ennemie de moi-même, épluchant continuelle¬
ment mes moindres actions. Pour mes communions, je craignais
toujours que quelque petite parcelle de l’hostie ne fût tombée par
terre. Dans les églises, je m’imaginais que j’allais en voir etque par
mégarde on pourrait en laisser tomber. Ces dernières idées me
tourmentèrent si fortement que mon confesseur me défendit toute
espèce de recherches à cet égard.
J’étais ridiculement scrupuleuse pour la délicatesse de cons¬
cience. Ainsi j’avais pris d’une manière si exagérée les recommanda¬
tions de ma mère, de bien m’acquitter de mes petites dettes de pen¬
sionnaire, de ne rien recevoir, de ne rien changer, que je cherchais
toujours malgré moi si je n’avais rien à me reprocher sur ce sujet,
craignant d’oublier de payer ce que je devais ou doutant toujours si
je l’avais fait.
C’est au milieu d’une crise de scrupules religieux que me sont
venues ces malheureuses idées de croire que je serais la cause de mal¬
heurs. Plusieurs jours aurapavant, j’avais été frappée des récits qu’on
m’avait fait d’accidents causés par les épingles et les aiguilles. Ce
qui m’avait le plus vivement émotionnée, c’était qu’on m’avait dit
que la piqûre d’une épingle sur la tête d’un enfant pouvait le faire
mourir ; alors je ne pouvais plus manier d’épingles sans crainte et
même sans effroi ; je ne voulais plus en porter de peur qu’elles
.ne tombassent dans les aliments5 je n’allais dans une cuisine
qu’avec inquiétude à cause de cela; lorsque je travaillais et
que je cassais une aiguille, je ne savais que faire des morceaux ;
lorsque je les jettais par terre, j’aurais désiré savoir ce qu’ils devien¬
draient; en tout je considérais une fin malheureuse, je croyais en
voir partout. J’avais si peu de confiance en mobmême que je doutais
de mes sens, il me semblait que mes yeux me trompaient. Un jour,
il m’était venu la pensée d’essayer de mettre une épingle dans le
pain pour bien me persuader qu’on s’en apercevrait. Il me semble
bien avoir éloigné cette dernière idée immédiatement, mais le com¬
bat intérieur que j’éprouvais, ne sachant que faii-ej me jetait dans
un abattement si grand que, plus tard, cela me faisait l’effet d’un
rêve, craignant toujours, dans un moment d’égarement; d’avoir exé¬
cuté mes idées; mais maintenant je pense bien que les faits ne sé
passent qu’en imagination et non en réalité.
— 31 —
J’ai eu pendant quelque temps les mêmes craintes pour les petits
morceaux de verre, le phosphore, les allumettes chimiques. Toutes
ces idées avaient tellement pris d’empire sur moi que je n’étais pas
assez forte pour les chasser, et puis j’en revenais toujours à : Si
cela m'arrivait^ et le terrible si faisait mon supplice !
Je ne pouvais me livrer à aucune distraction. Je ne pouvais lire
sans croire que j’avais fait, dans des circonstance différentes, quel¬
que chose à peu près semblable, ou que j’étais capable de le faire.
Par exemple, j’avais lu qu’un enfant avait mis une pierre sur le che¬
min de fer voulant essayer si cela occasionnerait quelque malheur.
Ses prévisions avaient été tristement réalisées. Cette lecture m’avait
tellement impressionnée que, lorsque je voyageais ou que je traver¬
sais un chemin de fer, je croyais toujours y laisser tomber quelque
chose, ou bien il me semblait que j’avais le désir d’essayer pour voir
s’il m’en arriverait autant. Je me laissais fasciner par le mal, et je
pensais qu’immédiatement je le ferais.
L’année dernière, je suis allée aux bains de mer. Là, ma maladie a
fait de rapides progrès : chaque jour était marqué par une nouvelle
idée. En me promenant, sur les dunes, il me semblait que si je ne
me retenais je pousserais tout le monde, que j’avais des mouvements
brusques. Je n’osais m’approcher des petits enfants. Par la même rai¬
son, je n’aurais jamais ramassé des coquillages ou des petits cailloux
sur le bord de la mer, parce qu’il me semblait que j’en ferais mauvais
usage; je n’osais plus rien toucher de peur-que, dans un moment
d’exaspération, je le jetasse violemment contre quelqu’un ; je faisais
des rêves affreux, je me réveillais en sursaut, croyant avoir été la
cause de quelque accident. Le soir, quand je rentrais, je faisais de
si tristes comparaisons, le contraste qui existait entre moi et les heu¬
reux promeneurs m’ôtait tout courage et me jetait dans un abatte¬
ment que j’ai conservé tout l’hiver, même rentrée à la maison, jus¬
qu’à ce qu’enfin on ait pris graiid moyen, celui de me faire soi¬
gner plus énergiquement. »
Cette intéressante malade, que recommandent les plus sérieuses
qualités, est aujourd’hui âgée de trente-six ans. Elle est devenue
obèse. Depuis 1837, la névrose n’a pas cessé, mais certaines craintes
ont disparu pour faire place à d’autres. Placée successivement dans
plusieurs couvents et bénéficiant chaque fois d’une phase süspensivej
qui en imposait pour une guérison, cette délirante exige actuellement
des répétitions fréquentes et a besoin d’être rassurée, ce qui demande
parfois plusieurs heures, et devient alors une tâche trop lourde pour'
— 52 —
une seule personne. Dans ces derniers temps, elle a plus facilement
consenti à sortir, et elle s’est un peu occupée de sa toilette.
La folie du doute (avec délire du toucher) est donc une affec¬
tion paroxylique, rémittente, dans ses deux premières pério¬
des. Elle ne présente aucun caractère de périodicité propre¬
ment dite. Si la menstruation paraît exercer quelque influence
chez la femme sur l’apparition successive des intermissions et
sur la durée si fugitive de ces armistices, elle n’a, en re¬
vanche, aucune action sur les rémissions.
Avant d’arriver à la description de la troisième période, je
tiens à citer à l’appui de toutes les opinions cliniques que j’ai
jusqu’à présent exposées, une observation très-détaillée et
très-significative qu’Esquirol a rapportée dans son chapitre sur
la mmomanie{i), et qui se rattache d’un bout à l’autre et de
point en point à la névrose que nous éludions. Je suis heureux
de trouver en quelque sorte la consécration de tout ce que j’ai
avancé dans le fait clinique qui va suivre, et qui est si digne
d’être détaché de l’œuvre considérable de l’illustre ancien
médecin de la Salpêtrière et de Gharenton.
X. — F..., âgée de trente-quatre ans, est d’une taille élevée,
elle a les cheveux châtains, les yeux bleus, la face colorée, le tem¬
pérament sanguin ; elle est d’un caractère gai et d’une humeur
douce. Élevée dans le commerce dès la première jeunesse, elle crai¬
gnait de faire tort aux autres. Plus tard, lorsqu’elle faisaitun compte,
elle appréhendait de se tromper au préjudice de ceux pour qui était
ce compte.
F... allait fréquemment chez une tante, sans chapeau et avec
un tablier qu’elle portait habituellement; un jour, à l’âge de dix-
huit ans, sans cause connue, en sortant de chez sa tante, elle est
saisie de l’inquiétude qu’elle pourrait bien, sans le vo loir, eniporter
dans les poches de son tablier quelque objet appartenant à sa tante.
Elle fit désormais ses visites sans tablier.
Plus tard, elle met beaucoup de temps pour achever des comptes
et des factures, appréhendant de commettre quelque erreur, de
poser un chiffre pour un autre et, par conséquent, de faire tort aux
(i) Des maladies mentales, i. II, p. 63. — i838.
— 53 —
acheteurs. Plus tard encore, elle craint, en touchant à la monnaie,
de retenir dans ses doigts quelque chose de valeur.
En vain lui objecte-t-on qu’elle ne peut retenir une pièce de mon¬
naie sans s’en apercevoir, que le contact de ses doigts ne peut al¬
térer la valeur de l’argent qu’elle touche. Cela est vrai, répond-elle,
mon inquiétude est absurde et ridicule, mais je ne peux m’en dé¬
fendre. Il fallut quitter le commerce. Peu à peu les appréhen¬
sions augmentent et se généralisent. Lorsque F... porte ses
mains sur quelque chose, ses inquiétudes se réveillent ; elle lave
ses mains à grande eau. Lorsque ses vêtements frottent contre
quelque objet que ce soit, elle est inquiète et tourmentée. Est-elle
quelque part ? elle apporte toute son attention pour ne toucher à
rien ni avec ses mains, ni avec ses vêtements. Elle contracte une
singulière habitude : lorsqu’elle touche à quelque chose, lorsque ses
vêtements ont été en contact avec un meuble ou avec un autre objet,
lorsque quelqu’un entre dans son appartement, ou qu’elle fait une
visite, elle secoue vivement ses mains, frotte les doigts de chaque
main les uns contre les autres, comme s’il s’agissait d’enlever une
matière très-subtile cachée sous les ongles. Ce singulier mouve¬
ment se renouvelle à tous les instants de la journée et dans toutes
les occasions.
M“® F... veut-elle passer d’un appartement dans un autre? elle
hésite, et, pendant toute l’hésitation, elle prend toutes sortes de
précautions pour que ses vêtements ne touchent ni aux portes, ni
aux murs, ni aux meubles. Elle se garde bien d’ouvrir les portes,
les croisées, les armoires, etc., quelque chose de valeur pourrait
être attaché aux clefs ou aux boutons qui servent à les ouvrir et.
rester après ses mains. Avant de s’asseoir, elle examine avec le plus
grand soin le siège, elle le secoue même s’il est mobile, pour s’assu¬
rer que rien de précieux ne s’attachera à ses vêtements. M“® F...
découpe les ourlets de son linge et de ses robes, crainte que
quelque chose ne soit caché dans ces ourlets. Ses souliers sont si
étroits que la peau dépasse la bordure des souliers, ses pieds gonflent
et la font beaucoup souffrir ; cette torture a pour motif d’empêcher
quelque chose de s’introduire dans le soulier. Les inquiétudes sont
quelquefois, pendant les paroxysmes, poussées si loin qu’elle n’ose
toucher à rien, pas même à ses aliments ; sa femme de chambre est
obligée de porter les aliments à sa bouche. Après plusieurs périodes de
rémission et d’exaspération, répétées pendant plusieurs années, après
avoir reconnu l’impuissance des conseils de ses parents, de ses
amis et de sa propre raison, elle se décide à se rendre à Paris en np-
— S4 —
vembre 1830. L’isolement, le soin des étrangers, les efforts que fait
M'i® F... pour cacher sa maladie, améliorent sensiblement son état,
mais le chagrin d’avoir quitté ses parents, le désir de les voir, la déter¬
minent, après deux mois, à retourner dans sa famille. Là, elle reprend
peu à peu toutes ses inquiétudes et toutes ses manies. Après quelques
mois, elle quitte volontairement la maison paternelle pour habiter
et vivre avec la famille d’un habile médecin. Elle perd encore une
grande partie de ses appréhensions et de ses habitudes bizarres. Un
an est à peine écoulé que les mêmes inquiétudes se renouvellent
ainsi que les mêmes précautions. Le paroxysme dure pendant dix-
huit mois. Après un an de rémission, nouveaux paroxysmes; M““F...
vient se confier à mes soins à la fin de l’année 1834 : pendant dix-
huitmois, à peine s’aperçoit-on des mouvements des mains et des
doigts et de toutes les autres précautions qu’elle prend ; mais, depuis
six mois (juin 1837), les phénomènes reparaissent avec plus d’inten¬
sité, laquelle augmente de jour en jour.
Pour faire mieux apprécier cette singulière aberration, je tracerai
la manière de vivre de M“® F... pendant un jour; elle se lève à six
heures, l’été comme l’hiver, sa toilette dure ordinairement une
heure et demie, et plus de trois heures pendant les périodes d’exci¬
tation. Avant de quitter son lit, elle frotte ses pieds pendant dix mi¬
nutes pour enlever ce qui a pu se glisser entre les orteils ou sous
les ongles ; ensuite elle tourne et retourne ses pantoufles, les secoue
,et les présente à sa femme de chambre pour que celle-ci, après les
avoir bien examinées, assure qu’elles ne cachent pas quelque chose
de valeur. Le peigne est passé un grand nombre de fois dans les
cheveux pour le même motif. Chaque pièce des vêtements est suc¬
cessivement un grand nombre de fois examinée, inspectée dans tous
les plis et replis, etc., et secouée vivement. Après chacune de ces
précautions, les mains sont vivement secouées à leur tour, et les
doigts de chaque main frottés les uns contre les autres ; ce frotte¬
ment des doigts se fait avec une rapidité extrême et se répète jusqu’à
ce que le nombre de ces frottements, qui est compté à haute voix,
soit suffisant pour convaincre F... qu’il ne reste rien après ses
doigts. Les préoccupations et l’inquiétude de la malade sont telles
pendant cette minutieuse exploration qu’elle sue et qu’elle en est
excédée de fatigue ; si, par quelque circonstance, ces précautions ne
sont point prises, M“® F... est mal à l’aise pendant toute la journée.
La femme de chambre, qui ne doit jamais la quitter, assiste à
cette longue toilette pour aider la malade à se convaincre que nul
-objet de valeur n’est adhérent à ses vêtements ou à ses doigts. Les
affirmations de cette femme abrègent les précautions et la toilette.
Si l’on menace d’envoyer une seconde femme, la toilette est abré¬
gée, mais la malade est tourmentée tout le jour.
Déjeuner à dix heures : avant de commencer son repas, F...
explore et secoue les serviettes, les verres, les carafes, les couteaux,
elle secoue et frotte ses doigts après qu’elle a touché les diverses
pièces de son couvert. Il en est de même pour le dîner. La présence
des étrangers ne la retient point. Elle mange avec une sorte de viva¬
cité.
Avant de se coucher elle prend les mêmes précautions, et sa toi¬
lette du soir dure plus d’une heure.
Pendant la journée, M“® F... lit ou se livre à quelque travail d’ai¬
guille, mais elle a bien soin de secouer les livres, l’ouvrage, avant de
s’en servir, de secouer ses mains et de frotter ses doigts à chaque
fois qu’elle a touché à ces divers objets.
S’il lui arrive de porter les mains à ses cheveux, à sa figure, à ses
vêtements, ou sur quelque objet placé auprès d’elle, elle secoue, elle
frotte ses doigts, comme je l’ai dit plus haut. iVPi® F... écrit à sa
famille pour lui rendre compte de sou état, de ce qu’elle fait, de ses
projets, de ses espérances de guérison ; avant d’écrire, elle secoue le
papier, les plumes, l’écritoire, et ne cachèle jamais ses lettres avant
que sa femme de chambre ne l’ait assurée qu’il n’y a rien dans les
plis du papier. Elle ne décachète jamais les lettres qu elle reçoit.
Pendant les paroxysmes, F... ne lit, ne travaille et n’écrit qu’en
présence de sa femme de chambre, et, si elle est accidentellement
seule, même dans son appartement, elle ne s’asseoit pas avant que
celle-ci arrive et assure qu’il n’y a rien sur le siège qui empêche
de s’asseoir. F... fait des visites; en entrant, elle se garantit
de tout contact, se balance autour du siège, l’examine, le secoue, et
elle fait tout cela avec assez d’adresse pour qu’on ne s’en aperçoive
pas d’abord. Reçoit-elle des visites, elle approche un fauteuil, mais
aussitôt elle secoue et frotte ses doigts. Elle fait des voyages dans sa
ville natale, mais elle s’arrange de manière à arriver de très-grand
malin, afin d’avoir le temps de changer de linge, de vêtements, et
de se laver avant d’emhrasser ses parents à leur lever. F... ne
déraisonne jamais ; elle a le sentiment de son état, elle reconnaît le
ridicule de ses appréhensions, l’absurdité de ses précautions, elle en
rit, elle en plaisante ; elle en gémit, quelquefois elle en pleure ;
non-seulement elle fait des efforts pour se vaincre, mais elle indique
les moyens, même très-désagréables, qu’elle croit propres à l’aider
pour triompher de ses appréhensions et de ses précautions.
— 56 —
Mil® F... soigne sa toilette, mais sans recherche; elle achète chw:
les marchands, mais sa femme de chambre paye; elle compte ensuite
avec celle-ci et lui fait prendre son argent dans son secrétaire sans y
toucher elle-même. F... aime la distraction, elle va au spectacle,
dans les promenades publiques ; elle fait des parties de campagne ;
tous les soirs elle se réunit à une société ; sa conversation est gaie,
spirituelle et quelquefois malicieuse ; mais si elle change de siège, si
elle porte ses mains à sa tête, à sa figure, à sa robe, à son fauteuil
ou au fauteuil de quelque autre personne, elle secoue, se frotte vi-
vement les doigts ; elle fait de même si quelqu’un entre ou sort du
salon. Elle conserve d’ailleurs une très-bonne santé; l’appétit et le
sommeil sont bons: elle a quelquefois de la céphalalgie ; la face se
colore promptement pour la plus légère émotion ; elle se prête à
tous les soins médicaux qui lui sont proposés; elle répugne aux
bains, à cause des précautions qn’elle est obligée de prendre avant
d’entrer dans l’eau et après en être sortie.
Il serait impossible, dans aucun temps, de surprendre le moindre
désordre dans les sensations, dans le raisonnement, dans les affec¬
tions de cette intéressante malade.
La scène morbide de la folie du doute va actuellement subir
une transformation nouvelle.La continuité ultérieure du délire,
l’accomplissement d’actes de plus en plus anormaux et sur¬
tout l’abolition de toute sociabilité, vont apporter dans l’ha¬
bitude générale du malade des changements importants à
noter.
§ III. — Troisième période.
En proie à des anxiétés continuelles et à des souffrances de¬
venues incessantes, ayant perdu chaque jour un peu de cette
activité que nous leur avons connue, désillusionnés sur autrui
et principalement sur la médecine et les médecins, appréciant
toujours avec une parfaite conscience et leur situation et les
étranges anomalies de leurs actes, les malades se font en quel¬
que sorte justice eux-mêmes, sortent de moins en moins,
abandonnent les antichambres des cabinets de consultations, ne
suivent plus de traitement et restent volontiers confinés chez
eux. Incapables de se ressaisir en public et d’accomplir vulgai-
— 37 —
rement certaines obligations habituelles de la vie, ils s’éloi¬
gnent; devenus absolument insociables, ils fuient le monde.
Leur horizon se limite de plus en plus, le cercle des idées
délirantes se rétrécit, les angoisses s’accroissent et prennent un
caractère presque confus, l’égoïsme redouble, la lenteur des
mouvements augmente et les heures sont négligemment dé¬
pensées au milieu de craintives irrésolutions, de vagues ap¬
préhensions, de préparatifs de toilettes et de préliminaires
hésitants d’actions diverses. Les repas donnent lieu à mille
soucis, deviennent une préoccupation, un embarras, un sacri¬
fice, et exigent un temps considérable. La vie en commun n’é¬
tait plus tolérable : l’isolement volontaire lui succède.
Tel est, en effet, après la transformalion d’un état morbide
paroxystique en situation pathologique continue, le grand
caractère différentiel qui sépare la troisième période de la pré¬
cédente : les malades renoncent spontanément et sciemment
aux relations avec autrui. A ce moment, ils écrivent très-peu
ou n’écrivent plus du tout, contractent l’habitude de beaucoup
moins s’entretenir avec leur entourage et ne cherchent plus
autant à être rassurés ; ils se parlent à eux-mêmes à demi-voix,
puis à voix basse, et quelques-uns finissent même par ne plus
exprimer du tout les terreurs qui les agitent et par remuer
simplement les lèvres. Cette mussitation est le seul indice
saisissable de leur persistante intégrité mentale, car, même au
moment de ces manifestations ultimes, le niveau intellectuel
n’a pas fléchi et la démence n’est toujours pas venue. Que le
malade soit épouvanté à propos de rien, qu’il se couvre de ridi-
• cule centfois par jour en n’osant plus ni marcher, ni s’asseoir,
ni manger, ni toucher à quoi que ce soit ; qu’il ne consente
plus à sortir et qu’il se séquestre; qu’il ne puisse pas dominer
son invincible répulsion pour tels ou tels objets, qu’il se rende
grotesque à plaisir et qu’il se voue volontairement à l’immobi¬
lité, peu importe, il n’est point dément et ne finira pas
dément.
A l’appui de cette opinion très-vraie, mais peut-être inat¬
tendue de ma part, j’invoquerai la manière de voir de J. Faire t,
dont chacun connaît le jugement sage et éclairé : « Les mala-
des, dit notre honorable collègue, peuvent encore conserver en
public toutes les apparences de la raison, et s’ils n’en faisaient
eux-mêmes l’aveu, nul ne pourrait se douter qu’il s’accomplit
parallèlement en eux un double travail intellectuel, l’un exté¬
rieur, dont on est témoin, et l’autre intérieur, qui n’a pour
spectateur que l’intimité de la conscience. Ce travail exige
une dépense excessive de force nerveuse et intellectuelle,
donne lieu à une souffrance morale des plus pénibles, et pour¬
tant, soit par suite de la surexcitation maladive , soit par
l’effet de l’habitude lentement contractée, le système nerveux
fin it par s’adapter à cette déperdition de force exagérée, et les
malades résistent, souvent pendant des mois et même pendant
des années, à ce travail incessant, sans que leur santé physique
en soit fortement ébranlée et sans que leur intelligence s’affai¬
blisse notablement ; il est remarquable, en effet, que cet état
mental, qui se prolonge souvent pendant toute la vie, avec des
des alternatives irrégulières de paroxysmes et de rémissions
quelquefois très-prononcées, n’aboutit jamais à une véritable
démence. » (1).
En 1869, j’ai vu à Nogent-sur-Marne, en consultation avec le
docteur Poinsot, un homme de soixante-dix ans, ancien négo¬
ciant, veuf, sans enfants, soigné par une vieille parente et une
domestique, qui n’était point sorti de sa maison depuis neuf
ans. Il parlait extrêmement peu, mais en termes pleins d’ur¬
banité; il se faisait lire le Voyage autour du monde, ne tou¬
chait plus à rien, ne mangeait même plus seul et se faisait
habiller. Il passait ses journées dans un grand fauteuil à rou¬
lettes au milieu de sa chambre, pendant l’hiver, et au milieu
de son jardin, pendant l’été. Il avait toujours les yeux tournés
du côté de la porte d’entrée, et il devenait inquiet chaque
fois qu’il entendait sonner chez lui. La domestique entr’ouvrait
alors avec une précaution infinie un petit guichet pratiqué
dans la porte et ne laissait pénétrer le visiteur qu’après lui
avoir demandé s’il n’était point accompagné d’un chien et s’il
( 1 ) La Folie raisonnante, p. 43. — 1866.
n’y avait pas dans le moment un chien errant dans la rue,
auprès de lui. Elle n’ouvrait définitivement la porte que dans
le cas de réponses négatives réitérées. Ce vieillard, dont le
niveau intellectuel n’avait pas baissé, était extrêmement mal¬
heureux et effrayé dès qu’il entendait aboyer un chien dans le
voisinage. Il se parlait bas à lui-même, avait volontiers Pair
préoccupé et vivait presque dans l’immobilité, a Vous voyez,
me dit-il, que je ne suis ni fou ni agité; je suis peut-être un
peu poltron, mais je sais parfaitement ce que je dis et ce que
je fais. » Son médecin, sa parente et sa domestique étaient
loin de le considérer d’ailleurs comme un aliéné. Or c’était
bien un aliéné, mais ce n’était point un dément.
En visitant, en 1874, un établissement spécial, je remarquai
une femme de cinquante-cinq ans environ, presque immobile
et paraissant s’effrayer de ma très-grande proximité de son
fauteuil. En quelques instants, je fus mis au courant d’une
foule d’excentricités anciennes absolument analogues à toutes
celles que nous avons rapportées jusqu’à présent. En témoi¬
gnant à la malade beaucoup de bienveillance et d’intérêt, je
parvins à causer avec elle un certain temps et à savoir par
quelles transes douloureuses elle passait sans cesse. Elle n’était
point en démence, quoique aliénée depuis dix-neuf ans.
Cette troisième période, lorsque les malades n’ont point été
placés dans des asiles publics ou privés—et c’est ce qui arrive
le plus souvent — peut donc échapper à peu près complète¬
ment à l’observation. La vie se prolonge, sans soins médicaux
nécessaires ou acceptés, et elle finit un beau jour par s’étein¬
dre sous l’influence d’une affection intercurrente quelconque.
Et le défunt, dont l’oraison funèbre est rapidement improvisée,
passe pour avoir eu « une maladie noire » ou pour avoir été
simplement <( un original ».
III
DÉBUT. ÉTIOLOGIE. INFLUENCE DU SEXE, DE l’AGE ET DU MILIEU.
On vient de lire l’exposé symptomatologique qu’il est pos¬
sible de tracer aujourd’hui, dans l’état actuel de la science,
de la folie du doute (avec délire du loucher). Ajoutons mainte¬
nant que le début de la névrose passe fréquemment inaperçu
et qu’il remonte très-souvent à l’âge de la puberté; qu’il s’est
manifesté alors sous la forme de scrupules de conscience,
qu’il a pu réapparaître légèrement de temps à autre, sans éveil¬
ler l’attention des proches, et surtout sans que le malade se
soit décidé à parler ; qu’il a pu être incidemment masqué par
des phénomènes chlorotiques, hystériques, dysménorrhéiques,
gastralgiques ou hypochondriaques, et qu’il a pu enfin s’effa¬
cer complètement pendant des phases suspensives prolongées.
On n’a point oublié d’ailleurs que le délire, à son origine pre¬
mière, est constitué par une idée bizarre qui s’impose à l’es¬
prit, que celte idée prend peu à peu une importance plus con¬
sidérable, qu’elle absorbe à elle seule une grande partie de
l’activité psychique du malade et qu’elle devient le point de
départ de séries complexes de raisonnement qui ont tou¬
jours pour centre, pour foyer d’irradiation, l’idée délirante
primitive.
; Les causes de cet état sont prédisposantes ou occasionnelles.
L’hérédité morbide joue ici un rôle d’une accablante prépon¬
dérance. Nous ne reviendrons pas sur les caractères si aisément
reconnaissables de l’aliénation transmise et sur ses terribles
conséquences, car nous avons abordé cette étude si curieuse
dans une série de leçons à l’École pratique (1), mais nous rap¬
pellerons que les excentriques, en général, appartiennent à
des familles d’aliénés, et nous n’aurons pas beaucoup de peine
à affirmer que la folie du doute (avec délire du toucher) va de
(1) La Folk héréditaire. Paris, 1873, broch. in-8® de 75 pages.
— 61 —
préférence recruter ses victimes parmi les descendants officiels
des névropathes, ces surnuméraires obligés de l’aliénation.
Au nombre des causes occasionnelles possibles, nous range¬
rons tous les grands troubles de la santé physique, quelques
maladies aiguës graves, comme la variole, l’angine couenneuse,
la fièvre typhoïde ou le choléra, l’onanisme invétéré, une
grande émotion et une vive frayeur. Du reste, les malades sont,
dans l’espèce, d’excellents appréciateurs de leur situation
pathologique, et ils sont les premiers à donner au médecin
des renseignements d’une irréprochable authenticité. Ils le
peuvent d’autant mieux que la folie du doute (avec délire du
toucher) éclate souvent à la suite d’une circonstance très-spé¬
ciale, qui imprime à la névrose une direction particulière et
devient habituellement le point de départ de l’idée prédomi¬
nante. Plusieurs des observations que nous avons rapportées
ont précisément mis en saillie l’origine première de la maladie,
mais l’un des exemples les plus concluants que je connaisse
est celui-ci : Une dame, dont Baillarger a parlé, est atteinte
d’une petite tumeur mammaire, et elle consulte un chirurgien
qui, tout en la rassurant beaucoup, lui recommande de pren¬
dre de grandes précautions et de ne point se heurter contre
une porte, un meuble ou une clef. A partir de ce moment, cette
dame devient perplexe et n’ose plus se laisser approcher par
ses enfants, puis elle craint de franchir une porte, de descendre
dans la rue, de monter en voiture, et elle parcourt enfin.cette
existence anxieuse et misérable que l’on sait.
Ce dernier fait peut être rapproché de celui qu’a cité Par-
chappe, d’après Van Swieten, et que voici : Un homme, à
tout autre égard fort sensé, ayant entendu dire que plusieurs
personnes mordues par un chien enragé étaient devenues
hydrophobes, malgré l’emploi de la saignée et des remèdes
les plus efficaces, s’imagina que si les chirurgiens s’étaient ser¬
vis des mêmes lancettes pour pratiquer d’autres saignées, le
virus avait dû, sans qu’on s’en doutât, être inoculé à un grand
nombre d’individus qui, dès lors, pourraient le communiquer
à d’autres. Pour se préserver d’un aussi grand malheur, il ré¬
solut de ne se laisser toucher désormais par personne, et, mal-
gré sa tendresse pour sa femme et ses enfants, il ne put se
décider à faire exception en leur faveur (1).
La folie du doute (avec délire du toucher) affecte beaucoup
plus les femmes que les hommes, se montre très-souvent pour
la première fois dès l’âge de la puberté et s’observe presque
toujours dans les classes élevées de la société. C’est tout à fait
accidentellement que l’on en voit passer un cas, de loin en
loin, à l’infirmerie spéciale près le dépôt de la préfecture, ce
kaléidoscope clinique sans égal, et encore ce cas ne donne-t-il
pas lieu d’ordinaire à une séquestration. A moins d’actes délic¬
tueux ou criminels, on ne constate là, en effet, que les innom¬
brables misères cérébrales du pauvre, les troubles toxiques du
déclassé et de la fille de joie, les agénésies intellectuelles de
l’enfance et toutes les anomalies psychiques des naufragés de
la civilisation ; mais c’est dans la consultation urbaine et dans
le cabinet du médecin que se présentent les hystériques, les
hypochondriaques, les émotifs, les délirants du tact, et tous
les individus en général qui souffrent moralement et ont cons¬
cience de leur état.
JV
DIAGNOSTIC. MARCHE. DURÉE. TERMINAISONS. PRONOSTIC.
Le diagnostic ne peut pas présenter de difficultés sérieuses,
après tout ce que nous avons fait connaître sur l’absence des illu¬
sions et des hallucinations des sens, sur les idées, les interroga¬
tions personnelles, les représentations d’images, les incertitudes,
les scrupules, les paroles, les angoisses, les excentricités, les
rabâchages et les écrits des malades. Néanmoins, lorsque ces
derniers ne se décident pas à faire des confidences, ils peuvent
en imposer beaucoup et donner le change sur leur véritable
état mental.
La marche et la durée de la névrose sont contenues tout en-
(1) Symptomatologie de la folioi 1881.
— 63 —
tières dans la description que nous avons faite des trois pério¬
des et des phases suspensives. Il s’agit, on Ta vu, d'une affection
à marche chronique et à durée indéfinie, qui ne compromet
absolument ni le niveau intellectuel, ni l’exercice des diverses
facultés, ni la vie; qui s’observe assez fréquemment au dehors
et rarement dans les établissements d’aliénés, et que l’on con¬
fond volontiers dans l’intérieur des familles, soit avec l’hysté¬
rie, soit avec l’hypochondrie. Personne ne devra s’étonner de
la fréquence de cette confusion : les cadres de ces deux états
nerveux sont d’une complaisance tellement élastique et l’on a
si tôt fait de trouver une étiquette !
De terminaisons, il n’y en a pas de spéciales à proprement
parler,Le pronostic est toujours très-grave. Parmi les guérisons
constatées par quelques auteurs, je crains bien qu’il n’y ait eu
que des rémissions très-longues, de trois à cinq ans, par
exemple.
V
TRAITEMENT.
Le traitement n’est sollicité que pendant la seconde période,
qui, il est vrai, est parfois très-longue. Il est d’une remarqua¬
ble efficacité temporaire et repose tout entier sur un emploi
très-sérieux du temps, sur une vie réglée et disciplinée, sur
des occupations nouvelles qui viennent à être prescrites éner¬
giquement et sur l’accomplissement quotidien d’une tâche dé¬
terminée. L’abolition du désœuvrement est la première condi¬
tion du succès et conduit en peu de temps à des phases suspen¬
sives précieuses pour le malade et pour les siens.
Au moment où les délirants du tact s’inquiètent et viennent
prendre des conseils, ils sont pleins de bonne volonté, extrê¬
mement désireux de guérir et confiants. Ils témoignent au mé¬
decin autant de déférence que de sympâthie et se mettent avec
abnégation à ses ordres. Il faut savoir séance tenante tracer un
programme écrit, quelque désagréable qu’il doive être, en
donner lecture au visiteur, et le lui imposer avec une fermeté
— 64 —
résolue, une conviction profonde et une autorité presque rigide.
Le malade rapproche aussitôt les défaillances anxieuses de sa
volonté des décisions catégoriques qu’on lui exprime au nom
de la science, et il n’hésite pas. Rien ne l’arrête. Il ohéit. Mais
s’il ne reçoit que des consolations banales, des admonestations
paternelles, des promesses vagues, et s’il transige avec vous
sur un ou plusieurs points, il s’éloigne désappointé et ne re¬
vient jamais. Ce qu’il a tenu essentiellement à rencontrer chez
le médecin, c’est une autorité qui commande à sa volonté et la
subjugue, et non pas une affabilité raisonneuse qui discute ou
capitule. Il a en quelque sorte abdiqué. Il cherche donc un
tuteur qui ordonne en maître et non pas un complaisant qui
opine servilement du bonnet. Aussi, tous les efforts les plus
persévérants et les plus méritoires dans le sens des concessions
gracieuses ont-ils fatalement échoué.
J’ai reçu un jour la visite et les confidences d’une dame
très-intelligente, aux goûts artistiques, un peu négligée par son
mari, mère de deux beaux enfants, et qui était en proie aux
scrupules et aux craintes les plus multipliés. Cette dame, âgée
de trente-six ans alors, se disait inquiète déjà depuis quelques
années. Je l’interrogeai longuement sur l’éducation qu’elle
avait reçue et sur les aptitudes qu’on avait développées chez
elle. Elle avait très-bien dessiné autrefois et ne savait aucune
langue étrangère. Je lui fis prendre des leçons de peinture et
d’anglais, elle travailla considérablement pendant près d’un an
et se rétablit. Sa famille avait tout à fait retrouvé le bonheur,
car n’ayant point été questionné sur l’avenir réservé à la ma¬
lade, je n’avais pas eu à me prononcer sur la possibilité d’une
rechute ultérieure, lorsqu’un jour, après dix-huit mois de la
plus franche rémission, cette dame refusa de sortir avec ses
enfants et sa mère dans la crainte de rencontrer un chien en¬
ragé, Je fus rappelé, je prescrivis des exercices gymnastiques,
une hydrothérapie sévère et des leçons de peinture sur porce¬
laine et de langue allemande. Une nouvelle phase suspensive
n’a pas beaucoup tardé à se produire, et elle dure en ce mo¬
ment depuis deux ans.
Les médications antispasmodique, débilitante, révulsive.
— 65 —
purgative et vomitive, ne réussissent jamais. L’isolement dans
une maison de santé et les bains très-prolongés ne donnent
point de résultats meilleurs. Plus le malade reste seul en face
de lui-même et plus il rêvasse et s’interroge. Il donne alors un
libre cours à ce qu’il appelle « ses parlottages, ses parle¬
ments, ses parlottes, ses verbiages, ses causettes, ses bavettes
ou ses jabottages intérieurs ». Plus il est déprimé par des bains
de trois ou quatre heures, et plus il s’alarme et se désespère.
Un malade étant donné, il importe de se rendre un compte
très-net de son niveau intellectuel, de ses occupations ordi¬
naires, de ses habitudes anciennes et actuelles, du milieu dans
lequel il vit, de sa position apparente de fortune, de ses goûts
et de ses tendances, et alors on règle mathématiquement
l’emploi de son temps. On indiquera à l’un des courses en ville
ou de grossières occupations de cuisine ou de ménage; on
recommandera à l’autre d’apprendre la menuiserie, le tour ou
la serrurerie, et de monter un atelier chez lui ; on prescrira à
celui-ci d’écrire un roman ou une pièce de théâtre, de broder
des pantoufles ou de relier ses livres, et à celui-là de se faire
donner des leçons de piano,de scier du bois, de devenir chasseur,
ou d’apprendre la photographie, l’escrime, la natation, l’équita¬
tion , une langue étrangère, la botanique, la déclamation, le droit,
les mathématiques, la mécanique ou la sculpture. Un autre
enfin, on l’enverra parcourir à pied la Suisse et l’Italie, ou le
midi de la France et l’Espagne. Ce qu’il faut avant tout, c’est
occuper le malade, lui rendre l’oisiveté impossible, modifier
de fond en comble ses conditions ordinaires d’existence et ses
habitudes de chaque jour, appeler son attention sur des ma¬
tières qui lui sont absolument étrangères, l’intéresser et même
le passionner en faveur de ceci ou de cela, le dépayser pro¬
fessionnellement et obtenir que chaque heure qui s’écoule
soit une heure dévolue d’office à un travail ou à un passe-temps
obligatoire.
Nous connaissons à Paris, plusieurs médecins et moi, une
dame étrangère de vingt-huit à trente ans environ, devenue
veuve à la suite d’un événement tragique, sans enfants, très-
— 66 —
intelligente, un peu hautaine et d’une irréprochable tenue,
qui, plusieurs fois par semaine, se rend à cheval dans la mati¬
née aux Champs-Élysées et au bois de Boulogne. Elle est
ordinairement suivie d’un jeune groom. Non-seulement celte
dame assiste à toutes les courses et parie, mais elle fréquente
les ventes de chevaux, examine les animaux, questionne les
marchands, apprécie les vices rédhibitoires, la beauté, les qua-
.lités ou les tares de chaque cheval et discute le prix demandé.
Elle visite volontiers les écuries en vogue et connaît presque la
généalogie de tous les chevaux, poulains ou pouliches, enga¬
gés dans les luttes si ardentes et si stériles du sport. Rien chez
elle n’est excentrique : on la tient partout en grand respect.
Cette dame a efi des scrupules, des craintes, des angoisses
et des frayeurs; elle a fait des recherches très-érudites sur la
naissance, la vie, la mort et la résurrection de Jésus-Christ,
s’est interrogée pendant un temps considérable sur Dieu, la
création, le déluge, tes révolutions du globe, les volcans, les
inondations, la raison, la folie et l’idiotie ; elle s’est rendue à
Jérusalem, a fait un voyage à Saint-Domingue et un autre à
Valparaiso, puis est rentrée définitivement à Paris. Elle n’a pas
tardé à avoir peur des boutons de porte, des espagnolettes de
fenêtres, des objets métalliques, des passementeries agrémen¬
tées d’acier brillant, puis elle s’est lavé les mains, est deve¬
nue anxieuse et rabâcheuse, a voulu être rassurée et y est
parvenue en conservant toujours auprès d’elle, même la nuit,
une femme de chambre qu’elle affectionnait beaucoup et
qu’elle questionnait sans cesse. Elle avait pris les grenouilles
en aversion, et, avant, de se rendre à la campagne chez des
amis, elle s’informait toujours s’il n’y avait pas des étangs non-
loin de la propriété qu’elle allait visiter.
Il fut possible de mettre fin à son existence si pénible, en
lui recommandant l’hydrothérapie pendant toute l’année, la
gymnastique, l’équitation, l’étude de l’anatomie et de la phy¬
siologie du cheval, la fréquentation des courses, l’élevage, etc.
Depuis le mois de septembre 1872, la malade va très-bien.
Cependant, lorsqu’elle est un peu émue ou irritable, qu’elle
paraît distraite ou rêveuse, qu’elle fait des recherches dans ses
— 67 —
tiroirs ou qu’elle demande plusieurs fois de l’eau et des ser¬
viettes pour les besoins de sa toilette, sa femme de chambre ,
qui a pris sur elle un très-grand empire et qui exécute ponc¬
tuellement les instructions données par le médecin, introduit
tout à coup un domestique qui dit : a Le cheval de madame
est sellé. » La malade comprend, ne résiste jamais, s’habille
à la hâte et monte achevai, quelque temps qu’il fasse. Elle
avait récemment pleuré beaucoup, sans motifs connus ou
avoués, et, dans la crainte d’une rechute, je l’ai fait mander
télégraphiquement à l’étranger, par sa famille, sous le pre¬
mier prétexte venu. Elle est revenue très-bien portante de son
voyage. Pendant combien de temps la rémission actuelle va-
t-elle se maintenir encore ?
Lorsque l’on a imposé un programme, que l’on a en quel¬
que sorte taillé la besogne jour par jour, heure par heure, il
est extrêmement rare que la tâche convenue ne soit pas accom¬
plie avec exactitude. Le malade éprouve même une satisfac¬
tion enfantine, et une vanité un peu hors de propos, en énu¬
mérant ce qu’il a fait ou appris et en insistant sur le soin
particulier et sur la régularité exemplaire qu’il a apportés
dans ce qu’il appelle « l’exécution de Tordonnance ». Il y a
dans son contentement puéril et presque emphatique quelque
chose qui remet en mémoire le bonheur de l’écolier récom¬
pensé à une distribution de prix. Chaque fois que j’arrivais
chez une dame à laquelle j’ai fait allusion dans cette étude,
elle me faisait passer dans sa salle à manger et rangeait sur la
table et les buffets toutes les assiettes qu’elle avait peintes de¬
puis ma dernière visite , puis elle étalait complaisamment ses
cahiers renfermant des dictées anglaises, sa tapisserie, sa bro¬
derie, des fleurs artificielles et des mouchoirs ourlés à la mé¬
canique. Elle m’a même montre un jour une robe de laine
qu’elle avait faite, à elle seule, pour la fille de sa concierge, et
elle a ajouté : « Que les femmes qui ne travaillent pas sont
donc malheureuses I » Je n’ai pas à rechercher ici si le travail
est un moyen puissant de moralisation , mais ce que je sais,
c’est que le travail est dans le traitement de la folie du doute
(avec délire du toucher) un véritable agent thérapeutique.
Une jeune fllle , observée par Marcé , était en proie à des
souffrances morales très-vives. Elle restait chez elle des jour¬
nées entières, U'osanl ni sortir, ni s’asséoir, ni lire, ni écrire,
ni manger. Debout, immobile, inoccupée, ne voulant toucher
à rien, elle parvenait à peine à finir sa toilette pour la fin du
jour. Lorsqu’on la contraignait à mettre la main sur les objets
de sa répulsion , il survenait des paroxysmes avec cris , an¬
goisses précordiales et malaise physique qui se prolongeait
péndant plusieurs jours : « Lorsque je vis cette jeune fille,
ajoute cet auteur, cet état avait déjà plus de deux ans de
durée, et la vie était devenue insupportable autant pour elle
que pour les siens. Un traitement tonique et ferrugineux, car
la malade était anémique, des affusions froides, une direc¬
tion morale à la fois bienveillante et énergique continuée pen¬
dant plusieurs mois, amenèrent à la longue une certaine amé¬
lioration dans son état; ses répugnances étaient moins vives,
elle s’habillait plus vite, consentait à toucher à certains objets,
sortait régulièrement, mais cette amélioration resta toujours
bien loin de la guérison. J’ai su que plusieurs années après,
l’état mental était le même, à quelques nuances près » (1).
Marcé avait parfaitement deviné le traitement obligé de la
névrose, et qui se résume en ces quelques mots : hydrothéra¬
pie, emploi sévère et constant du temps, amers, huile de foie
de morue, toniques, ferrugineux, gymnastique, surveillance
de tous les instants et tutelle douce et ferme à la fois. L’usage
du bromure de potassium rend les plus grands services dans
les Cas d’onanisme invétéré, d’idées lascives, de représenta¬
tions mentales obscènes et d’excitation génitale. L’observation
suivante présente à cet égard et à plusieurs autres titres encore
un intérêt très-vif. Nous ne résistons pas au désir de la placer
encore sous les yeux du lecteur.
XI. — M. T... publiciste, âgé de cinquante-trois ans, petit-fils et
neveu de déments séniles et cousin-germain d’un suicidé, est un
eczémateux héréditaire. 11 a été élevé à la campagne. Ses parents
(1) Traité pratique des maladies mentales, pp. 358 et 359.
étaient des paysans. Il s’est bien porté étant enfant, mais il se sou¬
vient d’avoir reçu un jour sur le sommet de la tête une boule à jouer
aux quilles; il a été tout étourdi sur le coup, mais n’a pas paru se
ressentir ensuite de cet accident. A treize ans, il a commencé ses
études dans un séminaire, travaillait beaucoup et avançait rapide¬
ment. Il voulait faire deux classes par an.
« J’avais déjà, écrit-il, un caractère sombre, chagrin, et comme
des dispositions à me replier sur moi-même et à m’observer dans
mes pensées. J’aimais à me tenir à l’écart.
L’urine et les excréments humains m’inspiraient une répulsion
étrange, que je n’ai plus. Chez moi, la religion ne tarda pas à dégé¬
nérer en superstition et, pour ainsi dire, en scrupules, c’est-à-dire
que j’étais souvent à me demander si tel fait, presque toujours fort
innocent, ne me mettait pas en état de péché ?
Je pouvais avoir de quinze à seize ans, et j’étais toujours au sémi¬
naire, lorsque je contractai de mauvaises habitudes.
J’avais pour le crapaud une aversion profonde; je ne pouvais pas
voir cette bête sans éprouver un frisson général. Or il arriva qu’un
jeune chien, traînant dans sa gueule un crapaud écrasé, s’approcha
un jour très-près de moi; et comme, la nuit suivante, je m’étais
encore livré à ma funeste passion,—j’avais alors environ dix-septans,
— il me vint tout aussitôt des idées bizarres. Je me figurai que le
crapaud m’avait touché etque, m’étant ensuite touché moi-même, j’a¬
vais toutes les parties sexuelles salies par cette bête immonde. Je
me lavai les parties génitales et les mains ; mais ces idées singu¬
lières ne m’en tourmentèrent pas moins. Je dissimulai tout cela : je
ne me supposais pas malade.
Mon père m’avait fait sortir du séminaire pour m’envoyer faire ma
seconde, ma rhétorique et ma philosophie au lycée de *** J’eus alors
pour la première fois des rapports avec une femme. J’ai fait ensuite
mes études de droit à et il serait superflu d’ajouter que je n’ai pas
vécu dans la continence. Mes idées bizarres, associant le crapaud à
mes organes sexuels — non encore aux organes de la femme — s’en
étaient allées peu à peu, et leur disparition a pu, pendant un assez
bon nombre d’années, me sembler definitive ou à peu près. Cepen¬
dant il m’arrivait encore de temps à autre de me livrer à l’onanisme,
ce qui m’inspirait une sorte de dégoût de moi-même et des idées
noires, surtout si cela m’arrivait un vendredi ou un treize. Delà, une
série d’autres pensées étranges et fatigantes dont ma raison ne parve¬
nait pas à me débarrasser, et qui me laissaient toujours le cerveau
comme congestionné.
— 70 —
La vue du crapaud et même le nom seulement de cet animal pro¬
noncé à mes oreilles continuaient à me faire frissonner. J’avais aussi
une antipathie inexpliquable contre le chien, surtout contre le chien
traînant quoi que ce soit à la gueule.
Un jour—jen’avais plus du tout alors l’habitude de la masturbation,
—et j’avais environ de vingt-neuf à trente-ans, un chien passa près de
moi; il tenait à la gueule un os, que je me figurai être un crapaud.
Le soir j’eus des rapports avec une femme, et alors me revinrent
mes idées bizarres associant le crapaud aux organes sexuels non
plus de l’homme, mais de la femme. J’éprouvai une grande fatigue
du cerveau; néanmoins je ne me figurais toujours pas être malade.
La pensée que je pouvais avoir l’esprit atteint ne me venait même
pas, et je dissimulai soigneusement mon état de souffrances au moins
morales, sinon physiques.
Depuis, le chien a cessé de m’être antipathique ; je dois même dire
que j’aime beaucoup les chiens, et depuis six ans j’en ai un que je
prends plaisir à caresser tous les jours. La vue du crapaud ne me
fait presque plus d’effet, et le nom de cet animal prononcé ne m’en
fait plus du tout. C’est sur les organes génitaux de la femme ou sur
ce qui peut m’y faire penser que s’est fixée presque exclusivement
l’idée qui me torture l’imagination. Il y a toujours en quelque sorte,
comme un groupe d’idées dominantes qui ne laissent plus de place
aux autres idées. Mais cette idée a des manifestations qui varient.
Ainsi je. me représente tantôt une partie des organes, tantôt une
autre, tantôt l’intérieur, tantôt l’extérieur. Et cette représentation
ne me vient pas par les sens, comme une hallucination, elle est toute
dans le cerveau même. Mon cerveau est obsédé d’images bizarres, et
il s’y fait, malgré moi, une série de raisonnements ou plutôt de
déraisonnements qui me laissent toujours une grande fatigue à la
tête. Si je suis éveillé la nuit, ces images sont plus vives encore
c’est comme un affreux cauchemar. Même aussi endormant, ces idées
me viennent en rêve quelquefois.
Un rien réveille en moi ces images insensées et ces déraisonnements.
Il me faudrait pouvoir oublier, perdre la mémoire de certaines cho¬
ses! Yois-je une femme passer dans la rue, c’est l’image de ces orga¬
nes sexuels que mon esprit se représente, et cette image devient aus¬
sitôt pénible et souvent douloureuse pour mon cerveau : cela m’ar¬
rive à tout instant. Il me suffit même qu’en écrivant ce qui précède
j’aie dû reporter mes idées à tout cela pour que je me sente le cerveau
pour ainsi dire envahi, obsédé, torturé; c’est comme si je me met¬
tais le doigt sur une plaie vive. Souvent quand j’ai des rapports avec
— 71 —
une femme, et même au mo.ment de Taction, je suis poursuivi et
torturé par ces images fatigantes !
Mon caractère est devenu de plus en plus sombre, mélancolique,
Rien ne me fait plaisir, tout me fatigue, tout m’énerve ; le travail
souvent me pèse. Je me laisse souvent aller à des rêveries. J’ai un
dégoût de la vie poussé à un point tel que je me. dis sans cesse (et de
très- bonne foi) : Ab! si je pouvais donc mourir... le plus beau
jour de ma vie sera celui de ma mort..... Pourquoi n’ai-je pas le
courage de me tuer?... etc. Je négbge ma toilette et jusqu’aux soins
de la propreté la plus ordinaire.
Les scrupules religieux de mon enfancô ont depuis longtemps
disparu, et je dois même dire que je n’ai plus du tout de religion ni
de croyances. Mais, chose qui peut paraître étrange, depuis quelque
temps je me demande : Y a-t-il un Dieu, n’y en a-t-il pas? ai-je
une âme, n’en ai-je point? Ce sont là comme des points d’interro¬
gation que je me pose.
Mes idées souvent manquent de suite. Ce que je projette un jour,
je l’abandonne le lendemain. Je ne me résous que difficilement à
passer à l’exécution de quoi que ce soit. L’énergie me fait défaut.
Mais, par moment, je suis, pour ainsi dire, à peine maître de moi,
tant l’exaltation nerveuse est grande. Ainsi, quand il m’est arrivé de
rester un certain temps en proie à ces images qui me représentent
les organes génitaux de la femme, il s’ensuit une surexcitation telle
que je cours, comme un véritable insensé, au devant de la première
femme publique qui se rencontre, et que j’ai à peine conscience de
ce que je fais! Notez que je n’aime pas les conversations obscènes
et que je ne lis pas de livres voluptueux. Je suis, en outre, très-
sobre pour la nourriture et la boisson. Je ne suis pas marié.
Ma mémoire (trop fidèle pour ces sortes de choses) me rappelle
jusqu’aux endroits précis où certaines images tourmentantes se sont
présentées à mon esprit, et je ne passe plus dans ces endroits sans
éprouver une sorte de frisson involontaire. Si je donne seulement
la main à une femme, cela suffira quelquefois à faire vagabonder
mon imagination. Je pleure souvent sans cause ou pour une cause
futile ; et les choses les plus importantes me laissent indifférent. Et
de même, dans des circonstances graves, quand la haine et la ven¬
geance auraient eu au moins leur explication, de telles idées ne me
sont pas venues, tandis que souvent, pour des choses tout à fait
futiles, je me sentais comme poursuivi et maîtrisé par des pensées,
même par des projets de vengeance atroce. Jamais l’exécution ne
s’en est suivie, il est vrai; mais telle personne, objet de ma rancune.
— 72 —
se serait trouvée à ma portée et j’aurais eu à la main une arme
quelconque, j’aurais pu croire n’êlre pas découvert, je ne sais pas si
je n’aurais pas été poussé presque involontairement à une mauvaise
action par une force irrésistible. En un mot, j’ai eu le cerveau
obsédé souvent d’idées malsaines et même délictueuses, quand en
réalité, une fois que je ne suis plus sous l’empire de l’excitation ner¬
veuse, de pareilles idées sont bien loin d’être les miennes.
Autre chose encore : je suis devenu très-maniaque, original et
susceptible, et le plus souvent pour des vétilles, des riens.
Avant 1870, très-malade déjà, je souffrais de tout ce que je viens
de dire.Viût la guerre, et ensuite se déroulèrent les événements de la
Commune. Je n’ai pas, pendant tout ce temps, quitté Paris, et rare¬
ment j’ai eu le cerveau plus libre, plus dégagé de ses obsessions
habituelles. Les grands événements qui s’accomplissaient avaient
produit une sorte de dérivatif. J’étais à peu près inoccupé ; et pen¬
dant la Commune, notamment, je ne faisais qu’aller et venir, m’ap¬
prochant des endroits où l’on se battait. C’est ainsi que, pendant les
huit jours où la lutte s’est faite dans les rues de Paris, j’ai suivi les
péripéties de ce drame, risquant vingt fois pour une d’ètre tué ou
blessé. Je n’avais qu’imparfaitement conscience du danger. Quand
tout fut rentré dans le calme, je restai assez longtemps sans souffrir
trop vivement du cerveau. Mais peu à peu les symptômes revinrent
comme auparavant. »
Depuis le commencement de l’année 1873 , M. T... a été soumis
d’une façon absolument continue, c’est-à-dire quotidienne, à la dose
de 3, puis de 4 grammes de bromure de potassium. Sous l’in¬
fluence de cet agent thérapeutique si puissant, les idées et lesimages
lubriques ont presque entièrement disparu. Si, par hasard, elles se
représentent encore de temps à autre, elles sont tout à fait fugitives
et sont très-facilement dominées et chassées. Le malade est actif et
gai, mais dtmi-frigide; il déclare qu’il n’eprouve plus cette tension
cérébrale qui l’a tant fait souffrir, qu’il travaille, s’occupe d’affaires
financières ou se promène avec la plus remarquable liberté d’esprit.
11 se croit guéri j il ne l’est pas.
Pour terminer ici tout ce qui a rapport au traitement de la
folie du doute (avec délire du toucher), disons que les gens du
monde, et même un certain nombre de médecins, admettent
de très-bonne foi que le mariage peut être conseillé à titre de
diversion utile ou de moyen nécessaire de guérison. En vertu
— 73 —
de ce préjugé funeste, immoral, dégradant, l’époux sain d’es¬
prit est voué au malheur , l’époux malade n’est jamais amé¬
lioré, mais est souvent aggravé, et une descendance pourvue
de tares pathologiques est sciemment préparée. Il importe de
ne point se faire de vaines illusions sur la prétendue vertu thé¬
rapeutique de l’acte conjugal, de ne pas rabaisser l’intelligence
humaine jusqu’à placer son élévation ou ses écarts sous la dé¬
pendance directe des satisfactions sexuelles, et de ne point
considérer la grande institution du mariage, cette base fonda¬
mentale de la morale et cette clef de voûte des sociétés,
comme un agent vulgaire de traitement, à l’usage d’infirmes
pleins de désirs, en quête de l’inconnu ou tout à fait aux abois.
Non, le médecin n’a jamais à prescrire le mariage; mais si, par
impossible, il avait un jour à l’ordonner, j’espère qu’il com¬
mencerait par se souvenir que la France a besoin d’enfants et
non pas d’idiots.
VI
APPLICATIONS MÉDICO-LÉGALES.
Et maintenant la folie du doute (avec délire du toucher)
peut-elle donner lieu à des applications médico-légales ? Cela
n’est pas douteux un seul instant. Comme cette aliénation par¬
tielle a été jusqu’aujourd’hui confondue avec l’hystérie ou
avec l’hypochondrie, on peut retrouver, dans les observations
qui ont été publiées à tort sous ces deux titres, quelques faits
qui se rattachent directement à la médecine légale. Mais nous
n’irons pas puiser nos exemples dans le champ malheureuse¬
ment si vaste des erreurs cliniques d’une autre époque. En
matière d’aliénation mentale, le passé n’est qu’un répertoire
de renseignements : il est souvent bon à consulter , mais fer¬
tile en déceptions, et c’est ici le cas.
La dernière observation que nous venons de rapporter nous
a montré que des impulsions criminelles ou des idées de ven¬
geance pouvaient tout à coup s’imposer à l’esprit ; or , d’un
projet semi-pathologique à l’exécution, il peut très-bien n’y
S.
avoir pas très-loin, à un moment donné. Qu’un acte délictueux
ou criminel soit commis, il restera à démontrer s’il l’a été à la
suite d’un simple mouvement passionnel et répréhensible, ou
s’il l’a été , au contraire , à la suite d’une série de raisonne¬
ments logiquement déduits d’une conception maladive. Il y
aura là une question d’espèce et un point d’appréciation spé¬
ciale.
Le professeur Lasègue, en fournissant un jour un avis cli¬
nique et médico-légal très-motivé sur un cas évident de folie
du doute (avec délire du toucher), a obtenu la réforme d’un
Jeune conscrit. Une autre fois , il a eu à donner son opinion
sur le degré de capacité testamentaire d’une délirante du tact.
La question de séquestration est presque aussitôt résolue
que posée, et neuf fois sur dix il n’y a pas lieu de recourir à
un placement dans un asile. En revanche, on a vu , chemin
faisant, que les idées de suicide et même les tentatives de
mort volontaire ne sont pas très-rares, et qu’il importe, sous
ce rapport, de faire exercer une surveillance attentive et dé¬
vouée.
Qu’à l’avenir des observations cliniques nouvelles se pro¬
duisent, et l’on saura, d’après tout ce qui précède , dans quel
compartiment de l’aliénation il faudra les classer. Le chapitre
complet de la névrose va enfin pouvoir s’édifier peu à peu. La
science n’est pas l’œuvre d’un jour : elle est la fille du temps.
TABLE DES MATIÈRES
I. — Exposé. Dénomination. Description sommaire. 5
II. — Symptomatologie . .. 9
§ 1. — Première période . 9
Production spontanée, involontaire et irrésistible de cer¬
taines séries de pensées, ou représentation mentale d’i¬
mages spéciales. — Interrogation produite par le doute. H
Observations I, II, III, IV.Il
Faits cliniques de Griesinger.14
§ 2. — Deuxième période .19
Révélations inattendues. Scrupules religieux. Craintes
chimériques.20
Idées de suicide.. 23
Crises avec aura épigastrique préalable.24
Aversion pour un animal. Peur des chiens enragés. ... 25
Observation V. 29
Crainte de devenir fou..33
Observation VI..34
Rabâchage maladif des mêmes choses et dans les mêmes
termes. Besoin d’être rassuré.36
Observation VII.38
Peur de toucher certams objets. Pratiques absurdes de
propreté. Lavages. Excentricités. Aveux spontanés d’actes
ridicules.39
Répugnance pour la lecture des journaux et principalement
des faits divers .42
Observations VIII et IX.43
Phases suspensives. Intermissious ei rémissions.47
Écrits des malades. Lettre d’une jeune fille.48
Observation X. (Fait clinique rapporté par Esquirol.).. . . ;>2
§3. — Troisième période .56
Transformation d’un état morbide paroxystique en situation
pathologique continue. Disparition de toute sociabilité.
Isolement volontaire. Lenteur des mouvements. Angoisses.
Répulsions invincibles. État voisin de l’immobilité.. . . 37
III. Début. Étiologie. Influence du sexe, de l’age et du milieu. 60
IV. Dugnostic. Marche. Durée. Terminaisons. Pronostic.. . . 62
V. Traitement .63
Abolition du désœuvrement. Travail. Vie réglée et discipli¬
née. Hydrothérapie. Amers. Toniques. Ferrugineux. Mé¬
dications diverses. 64
Emploi du bromure de potassium.. 68
Observation XI.68
Motifs qui contre-indiquent le mariage.72
VI. Applications MÉDICO-LÉGALES. . .73
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Toynbbb, avec un supplément par James Hinton, chirurgien auriste à Guy’s hospi¬
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médecine traduites de l’anglais par le docteur Barblla, membre de l’Académie royale
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moyens de prophylaxie thérapeutique employés contre la variole depuis l’origine de
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